Le partage du profit dans le luxe
Historiquement, les entreprises du secteur du luxe ont été reconnues pour leurs pratiques généreuses en termes de versement des primes d’intéressement et de participation. Selon le Baromètre du partage du profit réalisé par Eres, le secteur demeure en tête du SBF120 avec en moyenne 15 418 € de primes collectives (primes d’intéressement, prime de participation, abondement) distribuées aux collaborateurs en 2023. Pour comparaison, la prime moyenne s’élève à 6 392 € au sein de l’Indice. Bien que championnes des primes collectives, les entreprises du luxe sont restées longtemps en bas des classements des entreprises pratiquant l’actionnariat salarié, la forme ultime du partage du profit. Entre 2010 et 2024, seules 6 opérations d’actionnariat salarié collectif via des augmentations de capital réservées aux salariés ont été réalisées dans le secteur du luxe par 3 entreprises (sur les 5 de l’indice). Toutes ces opérations ont été d’ailleurs réalisées ces 6 dernières années.
L’actionnariat salarié dans le luxe : un modèle peu répandu
Le faible recours à l’actionnariat salarié dans le secteur du luxe s’explique par plusieurs facteurs. Une des raisons est l’utilisation de méthodes alternatives pour partager les profits, comme les attributions d’actions gratuites ou encore la distribution régulière de dividendes pour récompenser les actionnaires. Parallèlement, les entreprises du secteur du luxe, qui affichent des chiffres d’affaires particulièrement élevés et une rentabilité exceptionnelle, privilégient souvent le versement des primes collectives importantes.
Une de ces entreprises se distingue notamment dans ce domaine avec une prime collective moyenne record dans le SBF120 de 32 929 € par salarié en 2023.
Un tournant : l’actionnariat salarié comme levier de modernisation
Depuis 2020, plusieurs acteurs du luxe ont amorcé une transition. LVMH a pris une initiative en octobre 2024 avec son programme « LVMH Shares », ce qui a marqué une première historique pour le groupe. Kering, pour sa part, a lancé un programme en 2022 « KeringForYou ». Ces initiatives ne remplacent pas les primes, mais les complètent et forment une stratégie combinée : les primes valorisent les performances immédiates, tandis que l’actionnariat salarié pousse les collaborateurs à adopter une vision à long terme.
Ce virage s’inscrit dans un contexte où :
- Les talents recherchent des formes de reconnaissance plus durables. L’actionnariat salarié répond à cette attente en renforçant leur engagement envers l’entreprise.
- Les avantages fiscaux et sociaux encouragent ces dispositifs. En France, les plans d’actionnariat salarié bénéficient d’incitations fiscales, réduisant le coût pour l’entreprise.
- La performance de l’actionnariat salarié fait ses preuves. En effet, selon l’édition 2024 du Panorama de l’Actionnariat Salarié réalisé par Eres, les salariés ayant souscrit à une opération d’actionnariat salarié entre 2006 et 2018 ont réalisé une plus-value dans 82% des cas avec les dividendes et la décote (sans tenir compte de l’abondement) s’ils avaient conservé leurs actions 5 ans. En comparaison, un actionnaire individuel aurait, quant à lui, réalisé une plus-value dans 75% des cas seulement au bout de 5 ans (prise en compte des dividendes versés uniquement).
Une modernisation encore inégale
Malgré un démarrage plus tardif, trois des cinq entreprises du secteur du luxe présentes dans le SBF120 se sont lancées dans l’actionnariat salarié ces dernières années. Elles comblent progressivement leur retard, à l’image de LVMH avec leur nouveau programme international.
Conclusion : le luxe en transition
L’émergence de programmes comme « LVMH Shares » montre que le secteur du luxe revoit sa relation avec ses salariés. Ce changement, encore limité mais en progrès, cherche à équilibrer des profits records avec une implication plus directe des collaborateurs au succès des entreprises. Les géants du luxe consolident leur engagement et réforment leur gouvernance pour transformer une pratique peu courante en un atout stratégique. Ils fidélisent leurs talents et répondent aux attentes des investisseurs. Si ce modèle se généralise, il annonce une nouvelle ère où le luxe s’aligne mieux avec les valeurs de partage et de durabilité.
Mirela STOEVA, Directrice de l'Offre et des Etudes chez Eres