Sanctions financières de l'ADLC : mieux les prévoir et les anticiper

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Avec plus de 100 décisions de sanction rendues entre juillet 2011 et novembre 2022, totalisant près de 7,4 milliards d’euros, les amendes infligées par l’Autorité de la Concurrence (ADLC) comptent parmi les plus lourdes prononcées par une juridiction. Depuis son communiqué de 2011 sur la méthode de détermination des sanctions financières, révisé en 2021, l'ADLC a adopté une approche transparente et cohérente pour fixer et individualiser les amendes. Quels sont les arguments déterminants utilisés par l’ADLC pour prononcer ces sanctions ? Peut-on en prévoir le montant ? KPMG France, à travers sa filiale MAPP spécialisée en économie de la concurrence, révèle les résultats d’une étude approfondie sur les décisions de l'ADLC, fournissant aux entreprises des clés indispensables pour mieux anticiper et comprendre ces sanctions.

Prévisibilité des amendes : une sécurité pour les entreprises

Contrairement à une perception courante, les amendes imposées par l'ADLC ne sont pas imprévisibles. Selon l’étude de MAPP-KPMG, l'ADLC procède de manière quasi-algorithmique en tenant compte de la nature et de la durée des infractions, avant de moduler les sanctions en fonction des caractéristiques spécifiques des entreprises concernées, qu'elles soient grandes ou petites. La communication de la méthode de détermination des sanctions par l’Autorité vise à offrir aux entreprises une plus grande transparence sur les sanctions potentielles en cas d'infraction, permettant ainsi une meilleure anticipation et provision des risques.

Une cohérence affirmée par rapport aux autres pays européens

L'étude de MAPP-KPMG met en lumière que l'ADLC présente moins de variabilité dans ses sanctions par rapport aux autres autorités de concurrence européennes. C’est par exemple le cas pour les ententes horizontales, pratiques les plus fréquemment sanctionnées, dont le coefficient retenu pour qualifier la gravité des pratiques est le plus souvent compris entre 10% et 20% en France contre 5% à 30% en Italie. Cette cohérence renforce la confiance des entreprises dans le système juridique français, garantissant un environnement concurrentiel équitable et stable.

Une forme de constance dans les dernières amendes imposées

Bien que les montants médiatisés des amendes puissent sembler élevés, ils restent proportionnels à la taille des marchés concernés et aux infractions commises. Les données montrent que les plus grosses amendes concernent souvent les grandes entreprises du secteur technologique (GAFAM). Cependant, proportionnellement à leur taille, ces groupes ne sont pas pénalisés plus sévèrement que les autres structures. A titre d’exemple, Apple, qui a reçu la plus grosse sanction historiquement imposée par l’ADLC (1,1 milliard d’euros), s’est vu appliquer des coefficients de gravité (de 7 à 9%) tout à fait comparables à ceux imposés aux autres entreprises pour des pratiques similaires (la fourchette usuelle est de 6 à 9 %). De plus, contrairement aux idées reçues, il n’existe pas d’augmentation tendancielle du montant des amendes infligées par l’ADLC à travers les années.

Des décisions équitables entre les acteurs et les secteurs

Les secteurs de la grande distribution, des banques et de la pharmacie sont souvent perçus comme particulièrement ciblés. Néanmoins, l’analyse de MAPP-KPMG démontre qu’aucun secteur n’est traité de manière plus sévère que d’autres. A type de pratiques donné, les différences entre secteurs de montants moyens de sanction s’expliquent intégralement par les différences de taille des entreprises sanctionnées. Les sanctions dépendent en réalité de la nature et de l’ampleur des pratiques constatées, assurant ainsi une équité entre les différents secteurs d’activité.

« Notre analyse montre qu'il est possible de mesurer assez précisément les risques financiers associés aux poursuites en tenant compte des paramètres historiquement retenus par l'Autorité de la Concurrence. Cela permet aux entreprises de mieux anticiper et, le cas échéant, de provisionner de manière appropriée les montants des sanctions auxquelles elles pourraient être exposées. De plus, cette prévisibilité offre un avantage significatif en matière de stratégie de défense, en hiérarchisant efficacement les arguments à présenter. KPMG France est aujourd’hui l’un des seuls cabinets à pouvoir apprécier une forme de prévisibilité des amendes lorsqu’une décision de l’ADLC est en jeu » indique Bernard Roy, directeur général de MAPP.

Pour les entreprises : des critères de défense clairement identifiés

KPMG identifie plusieurs critères clés pour la défense des entreprises face aux sanctions de l'ADLC :

1. Définir l’assiette du marché

Il est essentiel de définir précisément le marché sur lequel a lieu la pratique anticoncurrentielle. Le montant de la sanction s’établit systématiquement entre 0 et 30 % de la valeur des ventes, et le plus souvent dans un intervalle de 5 à 20% de la valeur des ventes, pour une année de pratiques.

2. Mesurer le degré de gravité de la pratique

La gravité joue un rôle prépondérant dans le choix du niveau du coefficient de gravité/dommage. KPMG France observe qu’en moyenne, les ententes horizontales sont sanctionnées avec un coefficient de gravité/ dommage plus élevé (14,5%) que les abus de position dominante (8,4%) et les ententes verticales (7,2%). Des arguments économiques comme juridiques sont pris en considération pour moduler ce coefficient de gravité.

3. Etablir la durée de la pratique

Le montant de base d’une amende est égal à la multiplication entre 3 facteurs : la valeur des ventes, le coefficient gravité/dommage et le coefficient de durée des pratiques. Un examen minutieux des éléments au dossier s’impose pour définir au plus juste la durée à retenir.

4. Déterminer le coefficient d’individualisation

Les observations de MAPP-KPMG indiquent que l’étape d’individualisation peut conduire à moduler substantiellement le montant des sanctions à la hausse comme à la baisse : les ajustements ont pu conduire à baisser de plus de 90% certaines sanctions, notamment dans le cas des entreprises monoproduits, ou au contraire à plus que doubler le montant de base de la sanction, dans le cas par exemple de l’application du coefficient « grand groupe ». L’analyse des pièces au dossier et de la pratique décisionnelle peut conduire à faire valoir l’un ou l’autre facteur d’individualisation.

5. Prendre en considération le communiqué sanction 2021 de l’ADLC

Le nouveau communiqué ne change pas les principes fondamentaux de détermination des sanctions établis en 2011. En revanche, il accroit la pondération du coefficient de durée à partir de la seconde année de pratique, et introduit une « amende forfaitaire additionnelle » pour les pratiques les plus graves, sensiblement équivalent à une année de pratique supplémentaire. Il pourrait conduire à un doublement des sanctions prononcées par l’Autorité pour le cas des pratiques les plus graves et/ou les plus longues. Par ailleurs, ce nouveau communiqué supprime définitivement la notion de « dommage à l’économie », qui n’avait jusque-là qu’un rôle mineur dans la pratique décisionnelle.

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