Réforme des seuils d’audit légal : « Le Sénat a eu une bonne écoute » selon Jean Bouquot

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Alors que le projet de loi PACTE – et avec lui le très controversé relèvement des seuils d’intervention des commissaires aux comptes – entament leur parcours devant le Sénat, nous avons rencontré le Président de la CNCC Jean Bouquot qui effectue un point sur l’état des négociations et exprime sa vision sur l’avenir de la profession et de la Compagnie elle-même, laquelle s’oriente vers un rapprochement avec l’Ordre des experts-comptables.

Le PACTE aborde son examen devant le Sénat. Quel est l’état des négociations et comment envisagez-vous cette dernière étape ?

Nous avons été auditionnés par la commission spéciale du Sénat afin d’apporter des propositions d’amendements en complément du dispositif voté par l’Assemblée nationale. Ceux-ci portent principalement sur trois domaines.

Tout d’abord, l’existence d’un vide juridique qui pourrait prospérer à défaut d’intervention dans les groupes de sociétés, non pas uniquement ceux de petite taille mais tous les groupes en deçà des seuils de consolidation, donc jusqu’à 48 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le texte doit être complété pour qu’il n’y ait pas simplement un commissaire aux comptes dans la structure faîtière.

Un deuxième sujet concerne les confrères et consœurs qui exercent dans les DOM pour lesquels, compte tenu du tissu économique local, les entités dépassant 8 millions d’euros sont quasiment inexistantes. L’activité des auditeurs légaux dans ces départements se réduirait pour l’essentiel aux mandats dans le secteur associatif. Nous avons attiré l’attention du Sénat sur cette situation.

Enfin, un troisième point est celui de la date d’effet du dispositif. Le texte voté par l’Assemblée nationale devait entrer en vigueur au 1er janvier 2019. Mais cela ne tient plus juridiquement. Donc, quelle est la nouvelle date d’effet ?

Nous avons également exprimé notre souhait que soit insérée une « clause de revoyure » pour qu’à l’horizon de trois ans, les parlementaires procèdent à une analyse de la réforme, afin de revoir a posteriori ses effets à la fois sur la profession et sur l’intérêt général : la fraude, le blanchiment, les défaillances d’entreprises… Le Sénat a eu une bonne écoute.

Quelle est votre vision pour l’avenir des auditeurs légaux, compte tenu des bouleversements envisagés par le PACTE ?

Nous passons – ce sont les termes des ministres eux-mêmes – d’une utilité décrétée à une utilité à démontrer. Ce sont des beaux mots… Cela signifie que nous sommes enjoints de sortir du cadre traditionnel, où des mandats sont attachés à des structures juridiques et des seuils, pour faire valoir notre valeur ajoutée, notamment à travers la promotion de la mission d’audit légal PE ou encore, via des missions d’attestation sur des sujets ciblés. C’est un vrai changement identitaire, un vrai changement de paradigme. C’est un profond bouleversement dans l’accès au marché.

Tout d’abord, qui voudra faire appel à un commissaire aux comptes dès lors que la loi ne l’exige plus ? Il y a sur ce plan plusieurs parties prenantes autres que les dirigeants qui pourront souhaiter la présence d’un auditeur légal : financeurs, investisseurs, minoritaires…

Et second sujet : quelle réponse apporter à ces sollicitations ? La mission d’audit légal PE engage deux enjeux. Tout d’abord, elle doit être conduite sur la base d’une norme d’exercice entité non complexe. Nous avons construit cette norme. Elle est prête depuis mi-décembre. Nous allons désormais travailler avec notre régulateur pour aboutir à son homologation. Ensuite, les travaux menés via la mission d’audit légal PE doivent déboucher sur ce que nous appelons un « diagnostic performance croissance » : il s’agit d’apporter un regard éclairé sur la manière pour l’entreprise de corriger certaines défaillances observées afin d’améliorer sa position.

Tout cela suppose pour nos confrères et consœurs une posture effectivement différente, notamment la capacité à se vendre, à vendre sa compétence, son expertise et sa déontologie. Des formations seront proposées sur ce point. Cela implique également que la profession elle-même vende cette image retravaillée. Des campagnes de communication seront prêtes pour le printemps prochain.

Et sur l’avenir de la CNCC ? Le Président du CSOEC Charles-René Tandé a notamment parlé d’un rapprochement avec l’Ordre des experts-comptables. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

L’institution de la CNCC demeure. Elle doit néanmoins se remettre en cause au vu des bouleversements qui affecteront sa géographie et le nombre de ses membres.

L’institution va être fortement chahutée. C’est d’ailleurs sur ce constat notamment que la Chancellerie a souhaité que les mandats de tous les élus soient prorogés jusqu’au 30 juin 2020, de façon à établir une réforme institutionnelle profonde de la Compagnie. Cela concerne l’organisation territoriale mais aussi les compétences et responsabilités des différentes structures. Ce n’est pas la mort d’une institution, elle sera au contraire retravaillée, rajeunie, remise sur pied.

Concernant le rapprochement avec l’Ordre des experts-comptables, depuis deux ans, nous envisageons avec le Président du CSOEC Charles-René Tandé de travailler plus efficacement ensemble. Nous avons entamé ce projet de manière organisée et dépassionnée, voici un certain nombre de mois. Et nous sommes parvenus à nous dire que pour mieux travailler ensemble, il serait probablement plus efficace d’être dans des locaux géographiquement très proches. D’où l’idée d’un site partagé, avec la Compagnie dans un espace, l’Ordre dans un autre et surtout, des lieux de réunion en commun. Ceci existe d’ailleurs déjà dans de nombreuses régions. En faisant cela, nous pensons rendre service aux deux institutions et améliorer bien entendu le service à nos confrères et consœurs.

Propos recueillis par Hugues Robert

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