Jean-Luc Flabeau : « Je demeure effaré par la détermination de l’exécutif à amputer la profession de commissaire aux comptes »

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Le Président du syndicat ECF de la profession comptable Jean-Luc Flabeau revient sur l’actualité du monde du chiffre, notamment le projet de loi PACTE quelques jours après son examen en commission spéciale à l’Assemblée nationale. Il explique également le recours d'ECF devant le Conseil d'Etat contre la décision du ministre de la Justice de reporter les élections dans les CRCC.

Jean-Luc Flabeau, comment se passe cette rentrée ?

Activement, comme vous pouvez l’imaginer. Les sujets ne manquent pas : PACTE, prélèvement à la source, TESE, élections professionnelles…

L’actualité la plus brûlante est certainement le projet de loi PACTE avec la commission spéciale de l’Assemblée nationale qui a étudié vendredi dernier les articles concernant la profession du chiffre. Quelle est votre analyse ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de distinguer nos deux métiers car pour les PME de moins de 8 millions d'euros de chiffre d'affaires, le gouvernement semble penser que la seule présence de l’expert-comptable suffit.

Commençons alors par les commissaires aux comptes, puisque c’est là qu’est l’inquiétude majeure...

Je demeure effaré par la détermination de l’exécutif à amputer la profession de commissaire aux comptes en France. La position du gouvernement, défendue par le ministre de l’Economie devant la commission de l’Assemblée nationale vendredi dernier, est celle du rapport IGF. Depuis février, il n’y a pas eu de réel fléchissement : pas de période transitoire hormis la fin des mandats en cours, pas de notion de petits groupes. La quasi-totalité des propositions du rapport de Cambourg ne sont pas retenues, ce qui laisse amèrement penser que la commission du même nom était un simulacre de concertation.

Bruno Le Maire se plaît à opposer les commissaires aux comptes et les entreprises en répétant inlassablement qu’il va rendre 700 millions d'euros à ces dernières, alors que nous œuvrons à leur développement économique en leur apportant un cadre rassurant, en contrôlant la sincérité et la régularité de leurs comptes. Je suis intimement convaincu que Bercy se trompe de combat.

Mais est-ce simplement la faute des pouvoirs publics ?

Non. Comme je l’ai souvent dit, la CNCC est responsable de la situation actuelle. Depuis la loi LSF de 2003, et face à une inflation de nos normes professionnelles, qui a éloigné les professionnels des attentes des PME, ECF n’a eu de cesse de réclamer la mise en place d’un audit adapté. La CNCC a toujours refusé d’entendre nos revendications et aujourd’hui on voit ce que ça donne !

Le gouvernement a cependant introduit un amendement pour un audit adapté PE...

Il s’agit d’audit adapté PE facultatif et d’une durée de trois ans. Cette précision est importante car notre demande était un audit adapté PE obligatoire. Cette mesure est un cache-misère censé rassurer la profession mais dans les faits, il ne sera appliqué que de façon très marginale par les dirigeants d’entreprise. Alors qu’au niveau international, un large mouvement d’adaptation de l’audit dans les PME est en train de prospérer, je regrette que la France prenne le chemin inverse.

Qu’en est-il des dispositions pour accompagner la mutation des commissaires aux comptes après la loi PACTE ?

Cela reste très flou, il y a peu d’éléments concrets pour l’instant. Ou des pistes assez surprenantes comme le projet d’examen de conformité fiscale. Les commissaires aux comptes s’occuperaient dorénavant de base fiscale et supporteraient une très forte responsabilité. Il est clair que notre syndicat ne soutiendra pas cet examen de conformité fiscale. Nous sommes attachés à trouver de nouvelles missions pour les commissaires aux comptes mais ce n’est pas pour cela qu’il faut accepter n’importe quoi.

Parlons maintenant des experts-comptables. Le projet de loi PACTE semble être plus profitable pour eux...

Sur proposition du gouvernement, la commission spéciale a examiné un certain nombre de mesures demandées par la profession depuis plusieurs années. ECF a la paternité de toutes ces mesures puisqu’elles avaient été proposées sous la mandature de Joseph Zorgniotti à la tête du Conseil supérieur.

Il s’agit notamment des honoraires du succès, des mandats de paiement par les professionnels - paiement des dettes et gestion des créances de leurs clients - qui faciliteront la réalisation des missions de full service ou encore d’accompagnement de filiales étrangères, du mandat implicite qui donnera aux experts-comptables le pouvoir d’agir pour le compte de leurs clients sans avoir à produire un document et qui est une vraie simplification dans la vie des entreprises et des cabinets. Le mandat implicite serait réservé à la sphère fiscale mais j’espère bien que ce ne sera qu’une première étape. Et pour finir, il y a également la reconnaissance du statut d’expert-comptable en entreprise qui devrait augmenter l’influence de la profession comptable française, à l’instar de ce qui se pratique chez certains de nos voisins.

Au final, comment évaluez-vous ce projet de loi PACTE pour les professionnels du chiffre ?

Pour la profession, PACTE est Janus avec ses deux faces. Un visage bienveillant pour l’activité d’expert-comptable et l’autre côté du visage beaucoup plus hostile aux commissaires aux comptes.

Je continue de regretter que le gouvernement ne reconnaisse pas l’utilité du commissaire aux comptes et refuse de donner une chance à un véritable audit adapté PE de prospérer. Comme je suis convaincu que la sortie des commissaires aux comptes des petits groupes est une véritable erreur.

Mais restons combatifs. Même si la commission spéciale de l’Assemblée nationale est une étape importante, le processus de la loi PACTE est encore long jusqu'à son adoption définitive. La prochaine étape est l’examen du texte en séance publique au cours duquel ECF défendra ses amendements.

Un autre sujet d’actualité est le prélèvement à la source dont la mise en place au 1er janvier prochain a été confirmée par le gouvernement...

Franchement, à ce stade d’avancement du projet, les hésitations au plus haut niveau de l’Etat m’ont paru irréalistes. Nous savons que ce sont plus des freins psychologiques ou politiques que techniques.

La mise en place du PAS donne lieu à beaucoup de fantasmes comme ce fut le cas lors du passage à l’an 2000 avec le fameux « Bug » qui s’est finalement avéré imaginaire. La seule différence avec le PAS est qu’on ne pouvait pas repousser le 1er janvier 2000…

Le prélèvement à la source est pour moi une modernisation de notre système fiscal en matière d’IR puisqu’il rend enfin possible la contemporanéité de l’impôt et résout tous les problèmes de décalage d’un an du paiement de l’impôt.

Je pense par ailleurs que notre profession d’expert-comptable à un rôle important à jouer pour aider les entreprises à collecter ce prélèvement à la source.

Mais le gouvernement fait la promotion du TESE pour les entreprises de moins de 20 salariés dans le but de les aider lors du passage au PAS...

Gérald Darmanin, à qui nous venons d’écrire, explique en effet que le TESE est un système gratuit pour les entreprises. Avec une dette publique qui frôle les 100 % de notre PIB, je ne suis pas certain que nous puissions dire que c’est gratuit, car le TESE sera géré par les services de l’Urssaf, financés par nos cotisations.

Le TESE existe depuis de nombreuses années et il n’a jamais vraiment fonctionné. Je crois que les entreprises font plus confiance à la qualité des prestations de leurs experts-comptables et je suis persuadé que cela va continuer avec la mise en place du PAS à partir du 1er janvier prochain.

Sur le sujet des élections professionnelles, ECF vient d’annoncer qu’il venait de déposer un recours contre la décision de reporter les élections dans les CRCC. Pourquoi cette action relativement inédite ?

Il est vrai qu’il n’est pas fréquent qu’une de nos institutions professionnelles lance un contentieux avec un ministère, a fortiori quand il s’agit de notre ministère de tutelle. Mais pour être le plus clair possible, permettez-moi de revenir sur quelques faits chronologiques.

Le 18 mai dernier, à l’initiative du Président de la CNCC, les représentants de la Compagnie nationale et des deux syndicats ont été reçus par la Direction des affaires civiles et du Sceau pour évoquer l’éventuel report des élections souhaité par la CNCC et le syndicat majoritaire IFEC. J’ai clairement dit qu'ECF s’opposait à tout report puisque le projet de loi PACTE sur le relèvement des seuils méritait un débat démocratique. La Chancellerie ne souhaitait rien faire sans accord unanime des représentants de la profession. Mais le Président de la CNCC n’a cessé de faire pression sur les services de la Chancellerie pour obtenir gain de cause. Et c’est comme cela que, lors du Conseil national du 12 juillet dernier, la seule information communiquée par la garde des Sceaux a été le report des élections. Et de façon sine die puisque à ce jour, nous n’en connaissons ni la durée, ni les modalités.

Mais est-ce une raison suffisante pour exercer ce recours ? Nicole Belloubet a expliqué qu’il était difficile de faire ces élections alors que le calendrier initial tombait en pleine discussion sur le PACTE...

Dans son allocution, la garde des Sceaux a évoqué la notion d’intérêt général. Mais pour ECF, l’intérêt général consiste à ce que les instances d’une profession soient les plus représentatives possible des aspirations de celle-ci pour mener les négociations avec les pouvoirs publics, surtout à l’heure où la majorité actuelle de la CNCC a échoué sur tous les points de négociation.

Par ailleurs, nous devons défendre au mieux l’audit adapté PE et imaginer un nouveau référentiel. Cet audit adapté est l’ADN d'ECF et c’est notre syndicat qui a fait une première proposition aux pouvoirs publics dès février. Elle a fortement inspirée les propositions du rapport de Cambourg. Il est donc naturel qu’ECF puisse participer à la mise en place de l’audit PE.

Mais surtout, les élections professionnelles constituent la meilleure expression démocratique et, dans ce contexte inédit de forte menace sur un des deux métiers de notre profession du chiffre, il est normal que les professionnels aient ce débat et s’expriment dans les urnes.

Un dernier mot ?

Oui. Quand nous analysons la loi PACTE, nous retrouvons tous les projets ECF de ces dernières années. Avec une réussite pour le volet expertise comptable. Mais certainement un échec sur l’audit adapté PE puisque la CNCC n’a jamais voulu anticiper ce sujet pourtant crucial.

Nous savons que notre profession va être transformée dans les toutes prochaines années. Mais pour réussir au mieux ce défi, nos institutions nationales devront avoir de véritables projets innovants et les anticiper. Ce qui malheureusement n’est pas encore le cas aujourd’hui. Avec le numérique et l’intelligence artificielle qui vont très vite s’installer dans notre quotidien, il est grand temps de changer de braquet et de construire la grande profession du chiffre de demain.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier

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