Philippe Gattet : « Un quart de la valeur du marché de l’audit va s’évaporer »

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Philippe Gattet Xerfi

L'institut Xerfi-Precepta vient de publier une étude sous le titre : « Le marché de l’audit à l’horizon 2025 - Quelles perspectives face au relèvement des seuils d’audit des petites entreprises imposé par la loi Pacte ? » Entretien avec son auteur, le Directeur d'études Philippe Gattet.

Quel sera selon vous l’impact de la loi Pacte pour les cabinets d’audit ?

Sauf reculade des pouvoirs publics, la loi Pacte devrait être adoptée en l’état d’ici la fin de l’année 2018. Le relèvement des seuils d’audit prévu par ce nouveau cadre réglementaire se traduirait par la perte de 117 000 mandats pour la profession, soit 45 % du volume total. Ce changement correspond à une destruction de valeur pour les cabinets d’audit, équivalente à environ 620 millions d’euros. De fait, c’est un quart de la valeur du marché français de l’audit qui va peu à peu s’évaporer ces six prochaines années. Une contraction d’environ 25 % de l’activité audit est loin d’être simple à gérer. Et elle le sera d’autant moins si le commissariat aux comptes pèse lourd dans le chiffre d’affaires total du cabinet et si celui-ci travaille essentiellement avec de petites entreprises, ce qui est la norme pour la majorité des intervenants.

Quelles sont alors les options possibles pour les professionnels du chiffre ?

Au-delà d’une réflexion d’ensemble sur la stratégie concurrentielle à mener à long terme, le repli attendu de l’activité audit va obliger à court terme les cabinets à s’interroger sur la structure de leurs coûts et les moyens de l’optimiser. Une gestion très stricte des coûts peut alors être une option. Sauf que celle-ci, salvatrice pour les marges, serait destructrice pour la compétitivité à long terme. Autrement dit, les cabinets doivent absolument conserver intacte leur capacité stratégique pour non seulement affronter la contraction du marché de l’audit - et se redéployer sur de nouvelles activités ou de nouveaux marchés - mais aussi pour conserver leur place dans une compétition qui se durcit et se complexifie. La croissance future des cabinets va en fait dépendre de leur capacité à dénicher des gisements de croissance.

Basé sur une diversification offensive des cabinets, un premier scénario anticipe une progression du chiffre d’affaires de 2,3 % par an d’ici 2024 pour ensuite accélérer de nouveau, selon nos prévisions. Mais il ne faut pas exclure le scénario noir si les cabinets d’audit se retrouvaient dans l’incapacité d’engager une franche diversification de leurs activités. Rappelons que si les activités non réglementées représentent un tiers du chiffre d’affaires du top 10, le reste de la profession peine à se diversifier, réalisant encore plus de 90 % de son activité dans l’audit et l’expertise comptable. Selon ce scénario noir, le chiffre d’affaires des organisations augmenterait alors d’un maigre 0,6 % par an d’ici 2024 pour repartir de l’avant à compter de 2025.

Quels sont les chantiers à mener en priorité ?

La recherche de relais de croissance est impérative. Les cabinets doivent en effet apprendre à convertir les mandats en contrats, l’audit légal en audit contractuel. D’autres chantiers sont également prioritaires : la diversification des activités au-delà des métiers du chiffre, la diversification du portefeuille clients, l’automatisation des tâches répétitives, le développement des soft skills au niveau des équipes ou encore, l’internationalisation.

Loin d’être évidente, cette métamorphose suppose néanmoins quelques concessions. Les plus petits cabinets devront ainsi renoncer à leur sacro-sainte indépendance et se regrouper pour des questions de survie. Et si les poids lourds ont déjà engagé la transformation de leur modèle, ils ne sont pas pour autant sortis de la spirale déflationniste touchant les missions d’audit. Vécues comme une contrainte et assimilées à de véritables commodités par les clients, les missions d’audit légal pourraient bien être à terme remises en cause face à la digitalisation des directions financières, l’émergence de la blockchain et les progrès en matière d’analyse de données. En somme, les logiques de marché s’accélèrent, obligeant les cabinets à changer de braquet et à se transformer en véritables entreprises de services.

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