Jean-Luc Flabeau : « Pour la profession, le risque de perdre environ 150 000 mandats représente un « krach » sans précédent »

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A trois semaines du Congrès national du syndicat ECF, son Président Jean-Luc Flabeau s'exprime sur le projet de relèvement des seuils d'audit et sur les défis que la profession du chiffre devra relever en cette période de fortes mutations.

Les experts-comptables et commissaires aux comptes doivent montrer toute l'utilité de leurs différentes missions. C'est une priorité et une nécessité absolue selon le Président Flabeau. Répondre au marché et lui être utile sera le fil rouge du Congrès ECF 2018.

Jean-Luc Flabeau, le Congrès ECF se tiendra les 18 et 19 juin à Lyon. Mais avant de nous parler de cette manifestation, pouvez-vous nous dire dans quel état d’esprit sont les professionnels du chiffre, compte tenu de la menace de relèvement des seuils audit ?

Une large partie des professionnels était dans la rue le 17 mai dernier. Ce n’est pas dans nos habitudes de manifester : c’est bien le signe d’une profonde colère.

Colère en raison d’un rapport de l’IGF sur les seuils d’audit totalement biaisé et à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, comme l’analyse le professeur Laurent Benzoni sollicité par la CRCC de Paris, et qui aboutit à cette décision gouvernementale de proposer de porter les seuils au niveau européen.

Colère en raison d’une absence d’écoute des propositions que nous avons pu formuler pour répondre aux objectifs de réduction des coûts. Parfois depuis longtemps s’agissant d’ECF.

Colère enfin car on s’apprête à détruire d’un trait l’activité de commissariat aux comptes dans beaucoup de cabinets libéraux après leur avoir imposé, notamment depuis un an, de lourds investissements pour renforcer la qualité de l’audit.

Qu'est-ce qui a conduit à cette situation selon vous ?

A mon sens, nous « payons cash » une forme de déphasage entre les besoins des entreprises et une mission d’audit qui, bien qu’essentielle, a été normée et rigidifiée à l’extrême jusqu’à devenir disproportionnée aux yeux des entreprises.

Au risque de choquer, les pouvoirs publics ne sont pas seuls responsables de cette situation : nos instances professionnelles ont également leur part. Au son d'« un audit est un audit », elles ont refusé, par pure posture, la véritable adaptation que nous réclamions chez ECF depuis plus de 10 ans pour correspondre exactement aux besoins des PME. Les dégâts sont, eux, bien là même si nous devons encore défendre l’audit adapté.

C’est ce que nous devons bien comprendre et intégrer pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. En quoi sommes-nous utiles à nos clients ? Quelle est, à leurs yeux, notre véritable valeur ajoutée ? Celle qui nous distingue d’autres prestataires…

C’est de cela dont débattrons tout au long de notre Congrès, pour parvenir à la meilleure reconnaissance des professionnels du chiffre par le marché. Car ce doit être une tension de tous les instants si nous ne voulons pas connaître les mêmes déboires sur l’ensemble de nos missions, notamment en matière d’expertise comptable. D’autant que deux nouvelles directives européennes en cours d’adoption, pourraient avoir un impact non négligeable : nous avons le devoir d’en informer la profession. Non pas pour qu’elle se traumatise mais pour qu’elle puisse se préparer au mieux car elle en a les moyens.

Quels seront les temps forts de votre Congrès annuel qui cette année s’intitule « Mon cab' aujourd’hui » ? Qu’est-ce que les participants pourront y trouver ?

Deux plénières, des ateliers et pour la première fois dans un congrès ECF, de nombreux workshops.

Tout d’abord, nos deux conférences plénières apporteront des informations essentielles aux cabinets afin de les aider à ajuster si nécessaire leur positionnement. Avec pour fil rouge, la préoccupation d’affirmer toujours mieux notre utilité et d’accroître un peu plus encore notre valeur ajoutée. De la mutation de notre économie, on serait tenté de n'en retenir que les problèmes, dont notamment la crainte de la banalisation de nos missions traditionnelles. Nous en montrerons les opportunités. Et pourquoi pas sous un angle inattendu ?

Ensuite, puisque nous avons des ambitions pour nos cabinets, nous devons nous en donner les moyens, non pas demain mais dès maintenant. D’où le titre du Congrès. Nos deux co-rapporteurs, Virginie Roitman et Boris Sauvage, ont bâti un programme de neuf ateliers afin de proposer aux cabinets les meilleures pratiques notamment en matière de formation, de gestion du temps, de recrutement… Car le temps et les compétences sont les facteurs clés de la réussite.

Votre première plénière s’intitule « Profession comptable : vers un new deal ? ». Pourquoi faire référence à cette période de l’histoire américaine ?

Pour la profession, le risque de perdre environ 150 000 mandats représente un « krach » sans précédent. Quoi qu’il arrive, cela laissera des traces. Nous devons rebondir. Indéniablement, nous en avons les ressources. Pour cela, nous devons définir ce qui fait notre ADN pour être les mieux armés dans notre quête d’utilité et de valeur.

Quelles sont pour vous les priorités pour que la profession puisse relever ces défis et assurer son développement, notamment dans la nouvelle donne numérique ?

Tout est question de stratégie. Quels sont nos objectifs ? Que voulons-nous être pour le marché et pour notre environnement ? Comment être le plus utile pour nos clients alors que l’ère numérique nous fait entrer dans la quatrième révolution industrielle ?

Ceci étant défini, nous devons identifier les moyens qui permettront de remplir parfaitement nos objectifs. Pour cela, il nous appartient de faire des propositions au gouvernement, si possible intégrées au sein du projet de loi PACTE.

A cet égard, je suis convaincu que la formation, qu’elle soit initiale ou continue, est clé afin de tirer, mieux que quiconque, notre épingle du jeu.

Pour finir, les cabinets devront retenir parmi différentes possibilités leur propre stratégie, quelle que soit leur typologie ou leur taille. Notre marché sera plus ouvert et par voie de conséquence, les cabinets de demain seront beaucoup plus diversifiés dans leur forme.

La crise que nous traversons nous enseigne une chose essentielle : nous ne pouvons pas compter sur une réglementation immuable. Ce qui nous oblige à une remise en cause permanente pour nous concentrer sur la création de valeur aux yeux de nos clients. L’utilité et la valeur perçue : c’est à mon sens le juge de paix.

Dès lors, nous sommes amenés à concevoir nos cabinets comme de véritables entreprises de services. Et pour ce faire, en adapter la structure aux besoins clients. Il n’existe pas de solution universelle : plusieurs modèles peuvent exister de ce point de vue. A chacun d’analyser et d’identifier ce qui lui convient le mieux.

Le mot de la fin ?

Seul on va plus vite… à plusieurs on va plus loin. C’est une façon de vous dire que dans ces moments difficiles, l’échange est essentiel pour choisir les meilleures options.

Et pour ce faire, que rêver de mieux qu’une manifestation à taille humaine, comme le sera notre Congrès qui se tiendra les 18 et 19 juin prochain à la Cité Internationale de Lyon ?

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