L’expert-comptable et le paradoxe des activités de conseil

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En 1990, le 15ème Congrès de l’IFEC, syndicat de la profession comptable, s’est tenu à La Rochelle, avec pour thème « Destination conseil ». En 2017, le Congrès de l’Ordre des experts-comptables, qui a eu lieu à Lille, avait pour objet principal « le conseil dans la profession ». Que s’est-il donc passé de concret dans la profession pendant ce laps de temps, soit presque trente ans ?

Les études, tables rondes, congrès, formations et interviews se multiplient, allant toutes et tous dans le même sens : la profession doit se tourner vers le conseil, une activité à haute valeur ajoutée. Pourtant, selon une étude de l’Observatoire de la profession comptable, le conseil ne représentait, en 2013, que 7 % du CA total des cabinets de moins de cinquante salariés. C’était il y a six ans certes, mais sans trop nous mouiller, nous pouvons dire que ce chiffre doit à peine avoisiner les 10 % aujourd’hui. Le « conseil » est un serpent de mer pour la profession. Insaisissable, partout et nulle part à la fois. Il existe donc un réel paradoxe du conseil, qu’il serait intéressant d’analyser sous la forme de deux questions.

Existe-t-il une distance entre l’offre de conseil dans les cabinets et la demande de la part des chefs d’entreprise ?

Depuis trente ans, le conseil a du mal à décoller au sein des cabinets, malgré un terreau plus que favorable : confiance de la part des chefs d’entreprise, gros potentiel de marché, réglementation étatique claire à ce sujet. Et si on ne parlait, en fait, tout simplement pas de la même chose ? Qu’est-ce qu’une « mission de conseil » pour un expert-comptable ? Et qu’en est-il au regard d’un chef d’entreprise ?

Il est indispensable que la profession parvienne à s’affranchir du sens classiquement attribué au mot « conseil ». Pendant très longtemps, la mission de conseil de l’expert-comptable était considérée comme faisant partie d’un forfait de base. Le client avait dans l’idée, lors de la signature de la lettre de mission, que les conseils de l’expert-comptable « allaient de soi », telle une extra-croissance naturelle et normale de sa mission. Ces conseils étaient souvent prodigués de manière plutôt informelle, lors d’un rendez-vous ou d’un échange téléphonique. D’ailleurs, très fréquemment, la bonne réputation d’un cabinet, couplée au charisme et au sérieux de l’expert-comptable, « suffisait » à rassurer le client. Cependant, que se passera-t-il lorsque les missions de comptabilité traditionnelle ne seront plus en mesure d’assurer un CA suffisant ? Il faudra réussir à « vendre » du conseil de manière proactive, formalisée, industrialisée et clairement budgétisée. Le conseil commence par un diagnostic et se termine par une facturation.

Actuellement, lorsque les chefs d’entreprise sont à la recherche d’une mission de conseil, ce n’est plus du tout la même histoire. Le client n’est plus à la recherche d’un aval officieux, mais plutôt d’un panel d’outils lui permettant de gérer son entreprise au quotidien. À partir de tableaux de bord, l’expert-comptable doit interpréter les chiffres puis, sur la base de ses conclusions, proposer à l’entreprise un accompagnement pour soutenir son évolution. Le cœur d’une mission de conseil doit donc être composé d’un outil technologique performant et du savoir-faire d’un expert-comptable. Il faut savoir anticiper, lire entre les lignes, presque prédire les chiffres. Une mission de conseil demande de digérer la complexité des données comptables, afin de les transformer en propositions stratégiques claires pour les soumettre au chef d’entreprise.

Tous les cabinets d’expertise comptable sont-ils capables de proposer ces nouvelles missions de « conseil » ?

Oui et non. Car pour cela, il faut se doter d’une stratégie et de ressources spécifiques. Dans un petit ou moyen cabinet, la personne la plus à même de réaliser des missions de conseil est l’expert-comptable, soit le dirigeant. Or, celui-ci doit déjà participer à la production des comptes, manager les collaborateurs, gérer le cabinet... C'est très prenant et cela ne laisse que peu de temps pour la réflexion, la documentation et l'observation. Certes l’expert-comptable est un technicien des chiffres, mais pour vendre des missions de conseil à 300 ou 500 euros l’heure, il va devoir fournir au chef d’entreprise une prestation aboutie. L'expert-comptable ayant la responsabilité d'un cabinet ne dispose actuellement pas d’un temps et d’une préparation suffisants pour exercer personnellement le conseil de manière professionnelle. Délivrer des missions de conseil, dans le sens moderne du terme, ne s’improvise pas. Cela suppose que les cabinets se forment à de nouveaux outils, apprennent de nouveaux processus de relation client et se perfectionnent, entre autres, dans l’industrialisation de ces missions. Il leur incombe également de se réorganiser, formuler une offre attractive et communiquer à propos de celle-ci auprès des clients et prospects.

Est-ce que je dois proposer des missions de conseil « généralistes » (tableaux de bord, suivi de trésorerie, de gestion, d’investissement, etc.) ? Ou plutôt formuler une offre de conseil spécialisée, spécifique et sur-mesure dans certains domaines ? La première formule attirera beaucoup de clients, pour une valeur ajoutée modérée, tandis que la seconde garantira moins de prospects, mais une valeur ajoutée plus forte et donc une marge plus élevée. Pour cela, les cabinets ont besoin de temps et d’accompagnement, on ne construit pas le cabinet d’expertise comptable du futur en un claquement de doigts.

Romain Passilly, CEO de Inqom (www.inqom.com)

 

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