5 questions à Michel Sapin, ministre de l’Economie et des Finances

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michel-sapinMichel Sapin a répondu aux questions du magazine Sic et est également intervenu lors de la première journée du Club secteur public.

La loi que vous avez défendue récemment devant le Parlement a pour principal objet la lutte contre la corruption. La profession engage des actions afin de répondre à cet objectif. Que pensez-vous du rôle que les experts-comptables peuvent avoir ?

Le rôle joué par les experts-comptables dans la prévention et la détection des faits de corruption est déjà déterminant et sera renforcé par le volet de la loi relatif à la lutte contre la corruption.
Entre autres mesures, cette loi prévoit en effet l’obligation pour les grandes entreprises de mettre en place des « procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ». Ces procédures de contrôles comptables ne sont pas nouvelles en soi mais les entreprises qui n’en seront pas dotées pourront désormais être sanctionnées.
Par ailleurs, la loi va également donner aux experts-comptables un rôle déterminant dans le cadre des contrôles réalisés par la nouvelle Agence française anti-corruption concernant le respect des peines de mise en conformité ainsi que dans l’exécution des mesures de la nouvelle convention judiciaire d’intérêt public. En effet, dans le cadre de ces deux nouvelles mesures emblématiques de la nouvelle loi en matière d’anti-corruption, l’agence devra faire appel à un certain nombre d’experts ou autorités qualifiées. Les -experts-comptables auront tout leur rôle à jouer auprès de l’agence afin de l’assister dans la réalisation de ses analyses comptables.

La profession d’expertise comptable regroupe dans de nombreux pays les professionnels diplômés exerçant en libéral et ceux salariés d’entreprise. De nombreux diplômés français, salariés en entreprise, souhaitent rejoindre l’Ordre des experts-comptables. Que pensez-vous de cette demande ?

L’inscription au tableau de l’Ordre des experts-comptables emporte le respect par les professionnels de règles et d’obligations professionnelles, notamment l’indépendance. L’absence de lien de subordination entre le professionnel expert-comptable et le chef d’entreprise dont il est chargé de tenir la comptabilité, a toujours été considérée comme essentielle pour garantir une véritable sincérité des états comptables produits, des constatations réalisées et des conclusions proposées. Prévoir la possibilité d’une inscription au tableau de l’Ordre des experts-comptables de salariés diplômés exerçant en entreprise ne va donc pas de soi.
Pour autant, je suis favorable à des adaptations, par exemple sous forme d’une inscription sur une liste spécifique des salariés d’entreprise possédant le diplôme d’expert-comptable, à l’instar de ce qui se fait pour les pharmaciens. Cette inscription, reposant sur certains engagements déontologiques spécialement aménagés, serait une reconnaissance du professionnalisme des diplômés salariés. Elle serait aussi une manière d’animer la communauté des professionnels du chiffre, permettant à l’Ordre de diffuser plus largement l’ensemble de l’expertise technique dont il a une grande maîtrise. Le rôle de conseil de l’Ordre s’en trouverait ainsi renforcé. C’est dans cet esprit que le Gouvernement soutient l’idée de créer un statut d’expert-comptable en entreprise.

Les experts-comptables se sont impliqués dans la construction de l’édifice fiscal français et européen en vous remettant un livre blanc présentant des propositions françaises et européennes sur l’imposition des entreprises, sur la TVA... Quelle valeur ajoutée attendez-vous de cet engagement ?

Le livre blanc est une bonne initiative car il réaffirme le besoin de l’approfondissement de l’harmonisation fiscale en Europe. Comme vous le savez, à Bruxelles, au sein du Conseil ECOFIN, la France porte ce besoin d’harmonisation, notamment pour l’impôt sur les sociétés et la TVA. L’harmonisation de l’assiette d’IS et la mise au point de règles adaptées à l’économie numérique, dans le prolongement des travaux SEPS de l’OCDE, sont des objectifs stratégiques du Gouvernement. Que ce message soit porté par la société civile, y compris par ceux qui, comme les experts-comptables, peuvent parler au nom des PME, est très important.
En matière de TVA, il faut sûrement sortir du régime dit “transitoire” mis en place au début des années 1990. Il est complexe et perméable à la fraude. Au printemps 2016, la Commission européenne a présenté un plan d’action, favorablement accueilli par les Etats membres et soutenu par la France. Il inclut, comme le préconise votre livre blanc, une mise à jour du cadre des taux réduits. Par ailleurs, il propose de traiter les transactions intracommunautaires à l’image des transactions internes, en mettant fin à l’autoliquidation des acquisitions intracommunautaires, source de fraude, et en réintégrant la logique des paiements fractionnés. L’autoliquidation doit être utilisée avec prudence et cantonnée à certains secteurs spécifiques. C’est pourquoi je ne partage pas votre proposition de généraliser l’autoliquidation pour les transactions en B2B. Faire reposer le recouvrement de la TVA, première recette du budget de l’Etat, sur les opérateurs du bout de la chaîne économique, c’est-à-dire notamment sur les entreprises de vente de détail, accroîtrait sensiblement le risque de fraude, puisque la collecte, au lieu d’être répartie sur toute la chaîne économique comme avec le système des paiements fractionnés, se trouverait concentrée sur les opérateurs les plus en aval. Il existe par ailleurs à ce sujet une appréhension toute légitime des entreprises qui craignent l’augmentation des charges administratives qui en découlerait inévitablement, contrairement à l’objectif poursuivi.

Quel rôle les experts-comptables peuvent-ils jouer auprès des collectivités locales, de leurs établissements publics et de toutes les structures qui y sont rattachées notamment au regard de la loi NOTRe ?

Les impacts sur les communes de la loi NOTRe recomposent le paysage de l’intercommunalité et questionnent les périmètres de solidarité financière et d’exercice des politiques de proximité ; des choix de gestion peuvent devoir évoluer. Que les experts-comptables souhaitent mettre l’accent sur leur rôle de conseil notamment auprès des petites et moyennes villes, concernées par les récentes évolutions institutionnelles, est donc légitime.
Il convient d’emblée de rappeler que cette intervention des experts-comptables est complémentaire de celle des comptables publics, avec l’appui des compétences des Directions régionales et départementales des finances publiques, pour accompagner au quotidien les maires et les présidents d’intercommunalités dans leurs choix de gestion, la maîtrise de leurs dépenses, l’optimisation de leurs recettes – notamment l’assiette et les taux des impôts directs locaux – et le suivi des risques budgétaires et comptables. La compétence de droit du comptable public dans la tenue des comptes locaux demeure.
Il revient aux experts-comptables – si les élus en décident ainsi et y affectent les budgets nécessaires – d’apporter un éclairage complémentaire sur l’identification de marges budgétaires et la maîtrise des risques, notamment la valorisation des recettes domaniales et des actifs de la collectivité, l’appui aux recherches de financements externes, la gestion de l’inventaire, l’appui au contrôle interne et à l’examen des risques financiers des satellites, ainsi que la préparation de la certification des comptes des collectivités dans le cadre de l’expérimentation prévue par la loi NOTRe.

Afin de s’assurer de la neutralité de la réforme du prélèvement de l’IR pour l’ensemble des contribuables, ne faudrait-il pas instaurer une mesure générale de plafonnement indiquant que chaque contribuable ne supporte pas en 2018 une charge d’impôt supérieure à celle qu’il aurait supportée en l’absence de réforme ? Est-ce que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu concernera également les prélèvements sociaux ?

Le projet de réforme du Gouvernement relatif à la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu prévoit qu’en 2018, l’impôt sur le revenu afférent aux revenus non exceptionnels perçus en 2017 et inclus dans le champ des revenus concernés par la réforme sera annulé par l’intermédiaire d’un crédit d’impôt ad hoc de modernisation du recouvrement de l’impôt sur le revenu.
Ce crédit d’impôt est destiné à assurer pour le contribuable, cette année-là, l’absence de double contribution aux charges publiques au titre de l’impôt sur le revenu. Il en sera de même des prélèvements sociaux concernés par la réforme.
Oui, les prélèvements sociaux recouvrés par voie de rôle qui suivent les mêmes modalités de recouvrement que l’impôt sur le revenu afférent aux revenus qui y sont soumis (ex. : prélèvements sociaux afférents aux revenus fonciers) seront également concernés par la réforme du prélèvement à la source.

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