Willliam Nahum : "J’ai été indépendant, car pour l’essentiel, j’ai créé mon propre mouvement, ma propre équipe."

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william-nahumL'innovation étant au cœur des questionnements, il était logique de revenir sur le parcours de William Nahum et les multiples fonctions qu'il a assurées à la tête de nos institutions. Rencontre avec un homme souvent à l'initiative de chamboulements au sein de la profession comptable, laissant ainsi une empreinte durable dans la vision à long terme d'un secteur en évolution.

 

Président Nahum, cela fait bientôt 30 ans que vous avez été élu la première fois comme président du Conseil régional de l’Ordre de Paris Île-de-France. Vous avez en outre été deux ans président de la CRCC de Paris, deux ans président du Conseil supérieur en 2003/2004, et six ans membre du bureau de la CNCC. Les confrères franciliens vous ont toujours accordé leur confiance durant ces 30 années. Quelles réflexions cela vous inspire-t-il ? Quelle marque avez-vous imprimé à l’évolution de la profession ?

William Nahum : Dans l’action, cela passe vite… D’abord j’ai été politiquement indépendant des structures ou organisations existantes, car pour l’essentiel, j’ai créé mon propre mouvement, ma propre équipe. Mes fonctions régionales ont toujours été issues du suffrage des consœurs et confrères qui m’ont toujours accordé leur confiance massive avec de fortes majorités. Le tout, une bonne quinzaine de fois entre l’Ordre et la Compagnie. De même, mon élection à la présidence du conseil supérieur s’est faite à l’unanimité tous syndicats et tendances confondues, alors même que je n’appartenais à aucun d’entre eux. A Paris, j’ai d’abord diminué la masse salariale de 40 % lors de ma première année de présidence.

J’ai créé de multiples manifestations récurrentes (Universités d’Eté, conférence d’Assemblée générale avec parfois plus de 1 000 participants) ou non récurrentes (sur le contrôle d’acti vité, sur les nouvelles normes, sur la contribution à la réflexion suite au rapport DOMMEL sur l’avenir de la profession).
J’ai créé l’Asforef qui prospère encore aujourd’hui. Le Francilien a été totalement reformé et relooké. J’ai toujours privilégié les débats de fond sur des sujets essentiels touchant à l’existence, la prospérité ou l’unité et l’avenir de la profession.

J’ai toujours milité pour une fusion juridique entre l’Ordre et la Compagnie pour préser- ver l’unité de la profession aujourd’hui encore menacée. Le CRO de Paris avait alors un poids politique du fait de son incursion dans des sujets « politiques » touchant aux normes ou aux évolutions souhaitables de la profession. C’était normal de s’en mêler, car à l’époque, les présidents de conseils régionaux n’étaient pas de droit membres du CSO comme c’est le cas aujourd’hui. Il était donc normal que je manifeste, à la tête du plus important conseil régional, la volonté d’exprimer avec force, l’avis des Franciliens et de leurs élus.

De même, en 1990, j’ai mené une action de communication sur la réforme des professions juridiques et judiciaires dans les médias qui a contribué à la réflexion des élus de la nation qui l’ont évoquée lors des débats parlementaires. Bref, je crois que les confrères régionaux attendaient, bien sûr, une « animation » (manifestation, conférences…etc.), mais aussi une influence politique sur le cours des choses. J’espère y être parvenu.

Enfin, pendant toutes ces années où j’ai été élu sous mon propre pavillon (« Promouvoir »), j’avais sur mes listes, des représentants de deux grands cabinets sur quatre, manifestant ma volonté de rassembler. Ainsi, Yves Nicolas avait été élu les premières fois à la CRCC de Paris sur des listes que je menais.

Au conseil supérieur, je me suis battu pour obtenir l’élargissement clair de notre périmètre à l’accompagnement du créateur d’entreprise par l’adaptation des articles 2 et 22 de l’ordonnance, première extension importante de notre champ d’activité.

En 2004, j’ai combattu en mobilisant les consœurs et confrères, contre un projet d’exclusion du DEC comme voie d’accès aux fonctions de commissariat aux comptes. Cela risquait d’aboutir à une séparation radicale des deux métiers d’expert-comptable et commissaires aux comptes, ce que nous ne devons pas accepter, 75 % de la profession ayant signé !
J’ose espérer avoir notablement contribué à la modernisation de nos institutions et à la démocratisation des débats de fond sur l’avenir et les choix de notre profession. Initialement, les manifestations de l’Ordre étaient conventionnelles et réunissaient très peu de confrères. Au contraire, les manifestations que j’organisais réunissaient des milliers de personnes. Je me souviens d'une AG sur l’Europe qui avait rassemblé 3 000 personnes en juin 1989 au Palais des congrès, avec la présence de quatre ministres.
De même, le 1er congrès que j’ai eu à gérer en 1989, a été l’occasion de changements radicaux dans l’organisation, qui ensuite ont été maintenus à ce jour, favorisant un équilibre économique et un développement jamais démentis.

Justement, vous nous rappeliez les risques de séparation des deux métiers et votre combat pour l’empêcher… C’est un vrai choix pour l’avenir de notre profession ?

WN : Naturellement, notre diplôme est notre racine, notre ADN commun. Nous sommes les mêmes professionnels et c’est ainsi dans la quasi-totalité des autres pays. C’est la raison pour laquelle je suis pour la fusion des deux institutions. Il ne doit y avoir qu’un seul gardien du diplôme et de la surveillance de la profession. Il doit parler d’une voix, aussi bien en France qu’à l’étranger pour mieux faire valoir notre système. Car notre diplôme a une vraie valeur partout dans le monde et gagnerait à être encore mieux reconnu.

Vous avez, en plus de ces présidences, mené bien d'autres actions : à l’international, où vous avez cofondé la FCM et le CILEA. Vous avez été pendant 9 ans, membre du « board » de l’IFAC d’abord comme conseiller technique, puis membre de plein droit. Vous avez aussi été à la FEE. Pourquoi ces engagements internationaux ?

WN : J’ai observé qu’avec le temps, la place de la France se délitait peu à peu dans les pays francophones ou francophiles et qu’il fallait développer une politique à long terme. D’où la création de ces deux instances internationales qui regroupent en tout une trentaine de pays. Si l’on ajoute la Fidef, on est à près de 40 pays avec qui la France entretient des liens privilégiés qu’il faut renforcer encore. L’apport de l’Académie constituée en 2004 est la dernière pierre grâce à ses productions techniques, accessibles dans le monde entier en français. D’où son succès.

Je suis heureux que le Président Arraou qui souhaite, entre autres, donner une orientation internationale à son mandat puisse s’appuyer sur ces fondations solides.
Il reste sûrement un effort à faire envers le monde francophone africain, où l’Académie n’est pas assez connue en dehors de l’Afrique du Nord.

Justement l’Académie créée en 2004 recense en dehors des 20 000 membres de l’Ordre des milliers de cadres comptables de gestion de financiers, ’enseignants, de fonctionnaires (Bercy, Cour des Comptes …etc.) et énormément d’étrangers issus de plus de 20 pays avec des Académies sœurs en Belgique ou en Roumanie. En tout, plus de 60 000 membres. Quels étaient les objectifs ? Quel est le bilan ?

WN : L’objectif était de rassembler les énergies des compétences dispersées et disparates. Il existe un véritable « génie » français, un « modèle » en comptabilité ou en gestion.
Il s’agissait d’abord en France de décloisonner, faire sauter les barrières pour créer des synergies, donc de la richesse en terme de capital intellectuel et aussi faire communiquer des mondes qui soit s’ignoraient, soit se méconnaissaient, alors que la culture anglo- saxonne pragmatique et efficace, avançait à toute allure à l’international puisqu’outre la langue, elle n’est pas divisée en clans. Les institutions anglo-saxonnes regroupent entre 5 et 10 fois plus de membres que l’Ordre, à populations de pays comparables !
À l’international, je l’ai dit, la visibilité de la profession française est, je l’espère, infiniment plus grande dans les pays que j’ai évoqués, mais aussi plus modestement ailleurs, mais là il faudrait faire traduire, au moins en anglais et en espagnol, toutes les productions de l’Académie.

Mais vous avez aussi assumé de multiples fonctions d’importance. Parfois les assumez-vous encore comme la médiation du crédit, les CIP, le collège de l’ANC et aussi, en votre qualité d’élu actuellement au CSO : la commission comptable commune CSO/CNCC.

WN : La médiation du crédit est une expérience formidable. En septembre - octobre 2008, René Ricol m’a appelé à ses côtés pour créer ce « truc » original et tellement efficace pour ceux qui y recourent, à telle enseigne qu’il a été salué par tous et que la gauche l'a maintenue sans modification.

Pour l’anecdote, j’ai refusé, à ce moment-là, d’être de nouveau président du conseil supérieur comme me l’avait proposé Joseph Zorgniotti qui souhaitait que l’on partage un mandat de quatre ans. Je suis heureux qu’il ait assumé ces fonctions à deux reprises d’ailleurs avec brio et efficacité pour les intérêts de la profession à travers, entre autres son travail sur la loi Macron où plusieurs dispositions sont très favorables à la profession et amplifient celles que j’avais initiées.

Pour les CIP, j’avais créé le tout premier CIP à Paris, il y a 15 ans et laissé prospérer en régions. J’ai souhaité m’atteler à cette tâche à nouveau afin de finaliser l’ampleur nationale de cette véritable institution. J’ai été renouvelé il y a quelques semaines pour un nouveau mandat de 2 ans, selon le vœu du Conseil d’administration. Je crois que nous faisons ensemble du bon travail pour la prévention des difficultés des entreprises.
Enfin, le Collège de l’ANC est pour moi, une expérience formidable où je côtoie modestement les techniciens de la place parmi les meilleurs. Quant à la Commission comptable commune à la CNCC et au CSO, c’est un honneur que de revenir au fondement de notre métier : la comptabilité tout simplement.

Enfin, une question plus personnelle : vous avez recréé un cabinet en 2008 après avoir cédé votre ancien cabinet à des collaborateurs. Comment gérez-vous tout cela ?

WN : J’ai eu beaucoup de chance avec mon associé historique, Jean-Pierre Gramet, avec qui nous avons collaboré pendant 30 ans, jusqu’à 2007.
Mais, je ne me vois pas m’arrêter. Aujourd’hui, mon cabinet se consacre beaucoup à la défense de confrères mis en cause au plan civil ou pénal et à l’évaluation de préjudices dans le cadre de contentieux. Je suis aussi commissaire aux comptes d’un cabinet confrère. Vous voyez, je ne suis pas prêt de m’échapper à la profession à laquelle je reste attaché et qui me le rend bien.

A propos

francilien-90Cet article provient du numéro 90 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France. 

 






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