Julien Tokarz : "L'heure n’est pas au repli sur soi mais au contraire à l’ouverture."

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julien-tokarz3Entretien avec Julien Tokarz, qui vient d'achever son mandat à la présidence de l’Ordre de Paris Ile-de-France.

Julien Tokarz, le 17 décembre, vous avez achevé votre mandat de deux ans à la présidence de l’Ordre de Paris Ile-de-France. Quel bilan en retirez-vous ?

Avant d’évoquer ce bilan, permettez-moi d’adresser quelques remerciements à tous ceux sans lesquels rien n’aurait été possible. Ils s’adressent tout d’abord aux élus. Je tiens à saluer les conseillers qui ont donné de leur temps pour le bon fonctionnement de l’Institution. Souvent au détriment de leur propre cabinet.

Ensuite aux équipes des permanents de l’Ordre avec lesquels j’ai pris plaisir à travailler pendant ce mandat. Ils sont totalement impliqués et compétents. Le fonctionnement quotidien est très lourd, équipe des permanents joue un rôle primordial.

Justement, quel est le rôle des élus ?

Être conseiller de l’Ordre, c’est accepter de passer du temps pour faire que l’Institution tienne son rôle : celui de garantir au public que faire appel à un expert-comptable est synonyme d’éthique et de qualité. Celui d’assurer une information financière sincère et fiable et des conseils favorisant la croissance.

Pour cela, l’Ordre doit tenir un Tableau, diligenter des contrôles de qualité, répondre aux questions relatives à la déontologie, assurer la discipline, former et gérer les stagiaires, proposer des formations, poursuivre les illégaux… Mais également proposer des outils d’amélioration continue, mutualiser les bonnes pratiques et communiquer auprès du public pour faire valoir cette image ’excellence.

Mais les élus ne sont pas seuls à s’investir : je veux également saluer tous les membres des commissions, les superviseurs et les contrôleurs qualités, les contrôleurs de stage également volontaires pour servir leur profession.

Enfin, je n’oublie pas tous les consœurs et confrères qui se sont mobilisés en répondant présents pour mener des opérations de communication auprès du grand public telles qu’allô impôt, les consultations gratuites lors du salon des entrepreneurs ou lors des journées de la transmission d’entreprise.

Grâce à tout cela, nous montrons une très belle image de notre profession. Une image que beaucoup nous envient.

L’Ordre de Paris Ile-de-France est une structure d’envergure ?

Effectivement puisque qu’avec 5 850 experts-comptables inscrits, l’Ordre francilien représente près d’un tiers des effectifs de la profession, intervenant auprès de 600 000 entreprises franciliennes.

Pour faire fonctionner l’Institution et ses satellites, il ne faut pas moins de 45 collaborateurs. 

Et puisqu'il s’agit de bilan, l’un des axes de progrès que nous nous sommes fixés en début de mandature, est celui de l’efficience et de la transparence de l’Institution. C’est un objectif que nous avons réussi à tenir si l’on en croit la dernière enquête de satisfaction réalisée auprès de la profession au début de l’année 2014, puisque nous enregistrons un taux de satisfaction global de 86 % !

Depuis six ans désormais, nous avons réussi à réduire le montant des cotisations. Pour être très précis nous avons pu opérer une légère baisse en 2010 et depuis leur mon tant est resté stable et le restera en 2015.

Pour parvenir à cela, nous avons fait d’importants efforts de rationalisation : depuis 2010, nous sommes propriétaires de nos locaux avec la CRCC de Paris avec laquelle nous mutualisons de plus en plus de moyens dans un objectif de bonne gestion.

Nous voulons aller plus loin avec une extension du "50, rue de Londres" pour y loger les formations de l’ASFOREF qui aujourd’hui se tiennent dans des salles louées à l’extérieur. Nous avons obtenu un permis de construire en 2013 et nous sommes dans la phase d’appel d’offres.

Pour les fournisseurs les plus importants, nous avons mis en place une commission d’appel d’offres présidée par Bernard Lelarge assisté par un représentant de chaque liste. Ceci afin d’assurer, en toute transparence, le meilleur rapport qualité/prix.

Vous venez de nous parler de l’efficience et de la transparence de l’Institution comme axe de progrès. Est-ce le seul ?

Non évidemment. Nous avons remporté les élections avec un programme que nous avons complété lors de notre premier séminaire des élus. Pour cela, nous avons travaillé quasiment enfermés pendant 3 jours… Et nous avons tous ensemble partagé nos points de vue et sélectionné deux autres axes de progrès avec des actions correspondantes assignées à chaque commission.

Il y a tout d’abord le rayonnement de la profession en Ile-de-France.

Faire rayonner la profession en Ile-de-France…  Avez-vous le sentiment d’y être parvenu ?

Vous savez, il s’agit d’un axe de progrès continu. Mais je crois que nous avons su tirer épingle du jeu. Bien sûr nous avons poursuivi les opérations grand public en leur donnant une dimension supplémentaire.
L’opération allô impôt a battu des records d’audience médiatique ce qui nous a valu en 2014 près de 35 000 appels au numéro vert mis en place. Et avec, à la clef, des contribuables ravis qu’une profession d’experts leur prête main-forte.

Les journées de la transmission d’entreprise organisées avec les notaires et la CRCC de Paris attirent toujours plus de participants et de média avec une forte exposition sur Europe 1 par exemple. Toujours avec la CRCC de Paris, nous avons créé en 2014 le Club du chiffre avec Luc Ferry comme premier invité. Nous avons réalisé plusieurs dossiers dans le Parisien économie notamment sur le financement des PME, la gestion de crise, l’attractivité.

Justement, s’agissant d’attractivité, de nouvelles actions ont été engagées ?

Notre profession veut proposer plus de missions de conseil dans un contexte technologique et réglementaire en pleine mutation. Comment y parvenir sans adapter en permanence nos ressources humaines à cet objectif ? Pour attirer vers nos cabinets les profils dont nous avons besoin, nous devons faire un effort de pédagogie, mieux expliquer ce que nous faisons et mieux présenter les perspectives de carrière que nous offrons. Nous devons aller vers ces profils et ne pas attendre qu’ils viennent à nous en adaptant nos process de communication. C’est un travail de longue haleine. Nous avons pour cela créé une commission attractivité. Bien sûr, nous nous sommes déplacés dans de nombreux lycées et salons, dans les écoles préparant aux diplômes de la profession, dans les écoles de commerces, les universités en utilisant des supports de communication adaptés à ces générations. Nous avons créé un forum des écoles de la profession comptable afin d’encourager l’alternance par la mise en relation d’écoles et de cabinets. Désormais, nous proposons aux enseignants durant les universités d’été, une conférence pour les informer sur la réalité du travail en cabinet.

Aujourd’hui, nous voulons également encourager des professionnels plus aguerris provenant des entreprises, dans la majorité des cas des DAF, à utiliser la passerelle de l’article 7 bis pour s’inscrire à l’Ordre et enrichir de leurs compétences les rangs de la profession. Une cellule d’accompagnement a été créée à cet effet, ainsi qu’un lien avec la DFCG.

Vous avez solennisé un peu plus l’entrée dans la profession ?

Nous avons voulu redonner à la prestation de serment le lustre qu’elle avait peu à peu perdu. Après la cour des comptes en 2012 lors de la précédente mandature, cette cérémonie a été accueillie et parrainée en 2013 par le président du tribunal de commerce de Paris et en 2014 par le directeur général de la DGFiP au ministère des finances et des comptes publics.

Il était question d’un observatoire de l’économie francilienne ?

C’est exact. Le principe est simple : les cabinets produisent et télétransmettent des informations comptables financières mensuellement et trimestriellement. Quel outil de pilotage macro et micro économique formidable si, une fois anonymisés, nous parvenions à agglomérer ces données pour en tirer des statistiques économiques, par territoire et par secteur… ? C’est un projet d’utilité publique qui met en exergue la valeur du travail des cabinets.
C’est ce à quoi nous travaillons depuis deux ans avec le Conseil supérieur et un cabinet d’analyse économique spécialisé. Si tout va bien, d’ici quelques jours, l’Ordre devrait publier le premier numéro d’une étude dont le rythme de parution serait trimestriel.

Bien sûr, nous devrions être aussi en mesure de publier un observatoire des cabinets franciliens.

Il était également question de nouveaux projets pour accompagner les cabinets ?

Nous vivons une séquence économique tout aussi enthousiasmante qu’angoissante. La puissance des processeurs informatiques adossée à la multiplication des réseaux modifie nos façons de travailler et de communiquer. Beaucoup s’interrogent sur la bonne stratégie à adopter. Et nous savons qu’il n’est pas bon de trop attendre pour agir et s’adapter. Le remède à cela, c’est le partage. Échanger entre professionnels sur ce qui fonctionne, sur ce qui ne fonctionne pas. Bref, l’heure n’est surtout pas au repli sur soi mais au contraire à l’ouverture. Ceci explique très largement je crois, le succès considérable des universités d’été. En deux ans, la fréquentation a augmenté de 50 %, avec 4 300 inscrits en 2014 !

Pour donner plus d’espace à ce partage et à cette mutualisation, nous avons créé des nouveaux outils. Dans cap performance tout d’abord, nous avons ajouté deux autodiagnostics : l’un sur la communication du cabinet, l’autre sur la conformité qualité notamment pour préparer aux contrôles.
Nous avons mis en ligne un diagnostic sur la gestion de crise (www.sosgestiondecrise.com).

Enfin, nous avons fait évoluer la ligne éditoriale du Francilien la ligne éditoriale du Francilien pour l’ouvrir aux analyses sectorielles, aux focus départementaux, aux dossiers techniques et aux décideurs politiques et économiques de notre région.

Vous parliez d’importantes mutations auxquelles doit faire face notre profession… Cela fait-il écho au projet de loi Macron sur les professions réglementées ?

Pendant deux ans, j’ai eu le privilège de siéger au conseil supérieur aux côtés de Joseph Zorgniotti. Le travail qu’il a accompli pour moderniser notre réglementation pendant ses deux mandatures à la tête du conseil supérieur est considérable. Ce n’est pas pour rien si le ministre de l’économie lui-même cite les experts-comptables comme un exemple de profession qui a su se moderniser.

S’agissant du projet de loi Macron, il devrait apporter les dernières touches à cette réforme de nos règles avec quelques ajustements réglementaires et normatifs. Mais l’essentiel a déjà été réalisé.

Justement, quelles sont ces réformes et pourquoi étaient-elles si nécessaires ?

Il s’agit de réformes principale ment engagées pour ajuster notre champ de mission aux besoins de nos clients et, en conséquence, notre organisation. Je pense par exemple aux activités commerciales, à titre accessoire au maniement de fonds, à l’assistance des particuliers... Ceci doit permettre aux cabinets de faire évoluer leur offre au fur et à mesure vers ce que l’on qualifie de full service. A ce propos, une de mes dernières décisions en tant que président a été d’adresser à la profession francilienne un ouvrage sur le full service rédigé par les services du conseil supérieur.

Les activités commerciales font débat ?

Il faut souligner que l’autorisation des activités commerciales à titre accessoire a été proposée en séance du conseil supérieur et qu’elle a fait l’objet d’une approbation de toutes les tendances représentées. Et pour cause : dans le même temps étaient réaffirmées les valeurs éthiques de la profession et notamment celle de l’indépendance. D’autant que ces activités doivent être encadrées par une norme.

Il s’agit d’autoriser les cabinets français à proposer un éventail de prestations comparable à celui de leurs confrères européens qui ne connaissent pas nécessairement la même césure entre activités commerciales et civiles.

Et l’interprofessionnalité ?

Elle est nécessaire, toujours dans une optique de full service : nos clients ont besoin qu’on leur simplifie la vie. Ce qui serait le cas si on pouvait trouver, dans une même structure, experts-comptables et commissaires aux comptes, avocats, notaires, CPI, huissiers… C’est d’ailleurs ce qui se pratique dans de nombreux pays de l’Union.

C’est d’autant plus pertinent que nous offrons des services complémentaires tout en leur garantissant un même niveau de sécurité et de qualité en raison de nos déontologies respectives.

Aujourd’hui, cette interprofessionnalité est possible au niveau capitalistique avec les SPFPL pluriprofessionnelles. Le dernier conseil que j’ai présidé en décembre dernier a d’ailleurs inscrit la première SPFPL francilienne !

Mais il existe encore des réticences concernant l’interprofessionnalité d’exercice, c’est-à-dire la possibilité au sein d’une même société d’exercice de faire travailler plusieurs professions libérales réglementées. Je ne doute pas que les réalités économiques ramènent le débat au niveau qu’il mérite, de manière à aboutir le plus rapidement possible.

Vous venez de passer le témoin à Stéphane Cohen. Vous vouliez lui adresser quelques mots ?

Avec Stéphane Cohen, nous siégeons ensemble à l’Ordre depuis bientôt six ans. Je l’ai vu mener à bien de nombreux projets. Je pense en particulier à la lutte contre l’exercice illégal avec la création du site www.compta-illegal.fr . Depuis deux ans, il a porté les thématiques fil rouge "gestion de crise" et "financement des entreprises" en créant les outils subséquents. C’est une vraie chance pour l’Ordre de pouvoir compter sur son engagement et sa détermination.  

Dans la lettre qu’il a adressée à la profession pour inaugurer son mandat, il est question de créer plus d’intelligence collective en utilisant nos réseaux, en partageant nos expériences et nos bonnes pratiques. C’est une notion très actuelle et très moderne, et je sais que Stéphane est le président qu’il nous faut pour porter un tel projet.

Pour le futur, quels sont vos projets ?

Je compte prendre plus de temps pour m’occuper de mon cabinet et de ma famille. Mais je resterai élu de l’Ordre. J’ai été désigné commissaire général du prochain congrès national qui se tiendra du 30 septembre au 2 octobre à Paris ce qui devrait me prendre pas mal de temps. Parallèlement, je viens d’être élu président de la Fédération nationale ECF pour un mandat de deux ans. Bref, je compte bien continuer à m’investir au service de la profession dans les mois qui viennent.

A propos

francilien-88Cet article provient du numéro 88 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France. 

 






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