Cession de clientèle Les pièges à éviter

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laurent-benedictUn trop grand nombre de cessions de clientèle d’expertise comptable se déroule de manière précipitée, par des confrères souvent inexpérimentés, qui ne connaissent pas les risques inhérents. L’analyse des causes des litiges révèle que la majorité de ceux-ci sont dus à un audit insuffisamment poussé de la part de l’acquéreur, mais également à une rédaction succincte, approximative et insuffisamment réfléchie du contrat de cession de clientèle ou d’un cabinet d’expertise-comptable.

I. L’audit de la clientèle

Dans le cadre de toute transmission de clientèle, l’acheteur potentiel doit, préalablement à toute prise de décision, effectuer un audit de la clientèle cible. Cette analyse constitue l’une des deux phases primordiales, lors de toute acquisition de clientèle. C’est au cours de cette première phase que le repreneur potentiel apprécie les caractéristiques de la clientèle. Compte tenu du résultat de cette évaluation, l’acheteur appréciera le prix de cession proposé et déterminera si cette opération est opportune. Malheureusement, un trop grand nombre de confrères achètent les "yeux fermés", compte tenu du marché très favorable aux vendeurs, lié à la relative pénurie des clientèles à vendre.
Il existe plus d’une vingtaine de critères à analyser, lors de la réalisation de l’audit d’une clientèle. Ces informations ne permettant pas au futur acquéreur de connaître l’identité des clients cédés, un refus de communication de ces dernières de la part du vendeur est potentiellement suspect.
Indépendamment des critères classiques comme l’activité des clients, leur emplacement géographique, le type de missions réalisées, les honoraires et le mode de facturation… les acquéreurs devront notamment analyser d’autres critères plus spécifiques, qui sont trop souvent négligés, comme par exemple :
-Les prescripteurs des clients cédés. L’évaluation de la clientèle ne sera pas la même si l’acquéreur s’aperçoit que les clients du cédant ne proviennent que d’un nombre très limité de prescripteurs.
-Les groupes. Même constat que ci-dessus, si la majorité des clients cédés, voire la totalité, ne compose en réalité qu’un nombre très restreint de groupes, donc de réels clients "décideurs".
-Le niveau d’activité des clients cédés. L’analyse, sur deux ou trois ans, des agrégats chiffre d’affaires, résultat net, ou encore capitaux propres permettra de dégager une tendance, concernant la rentabilité des clients.

II. L’importance d’une rédaction réfléchie du contrat de cession

Chaque cession de clientèle d’expertise-comptable est unique et comporte des risques spécifiques, dont les principaux sont la perte de clientèle et la menace de litiges, pouvant apparaître entre l’acquéreur et le cédant. Les garanties légales, insuffisantes et inefficaces dans la plupart des cas, ne fournissent pas aux parties une protection satisfaisante de leurs intérêts et droits respectifs. Le recours aux garanties contractuelles s’impose alors comme une nécessité, pour l’acheteur comme pour le vendeur, afin de se couvrir contre ces risques.
Ainsi, les modèles de contrats disponibles, notamment sur les sites Internet des différents conseils régionaux ou du Conseil supérieur, ne sont que des trames qui ne doivent pas être utilisés en l’état, comme c’est malheureusement souvent le cas. Elles doivent être complétées et adaptées en fonction des attentes de chacune des parties et des caractéristiques intrinsèques de la cession.
Le contrat de cession ne doit pas être uniquement un moyen pour les parties de formaliser leur accord sur les mentions obligatoires de tout contrat. Il faut aussi le considérer comme un outil préventif et curatif, afin de réduire les risques liés à la cession et de résoudre les litiges pouvant survenir.

III. Les pièges à éviter lors de la rédaction du contrat

Il existe un trop grand nombre de pièges à éviter pour les lister ici de manière exhaustive, d’autant plus que, parallèlement aux écueils inhérents à toutes les cessions, il y a ceux propres à certains cas de figure. Ces pièges concernent aussi bien l’acquéreur que le cédant.
Toutefois, afin de donner un aperçu représentatif, quelques exemples sont présentés ci-après, avec les précautions spécifiques à prendre en conséquence.

La présentation des clients

La présentation des clients par le cédant au repreneur est le moment primordial de la cession. La réussite de la cession repose en grande partie sur cette présentation. En pratique, celle-ci peut être étalée sur une période plus ou moins longue, mais elle reste indispensable dans la quasi-totalité des cas.
Le paragraphe relatif à la présentation de clientèle est généralement mal rédigé et se présente ainsi : "À compter de la date d’entrée en jouissance, le cédant s’engage, pendant la durée de …, à présenter le cessionnaire à sa clientèle, comme étant le seul successeur et en invitant la clientèle à reporter sur lui la confiance qu’elle voulait bien lui accorder".
Les modalités de la présentation de clientèle étant définies contractuellement par les parties, il convient de compléter ces quelques lignes en y apportant certaines précisions.
L’une d’elles est la manière dont cette présentation est effectuée. On peut lister les procédés suivants :
-L’envoi de courriers personnalisés et signés par le cédant et le cessionnaire, expliquant les raisons du changement d’expert-comptable (départ en retraite, déménagement…),
-Le passage d’appels téléphoniques pour les mêmes raisons qu’énoncées ci-dessus,
-Une présentation physique du cessionnaire, lors de la remise des comptes annuels établis par le cédant, ou lors d’un entretien planifié spécialement à l’occasion de la reprise.
Bien évidemment, la présentation physique de l’acheteur par le cédant au client est l’option à privilégier. Or, compte tenu de la rédaction énoncée ci-dessus, rien n’empêche un cédant d’envoyer un courrier standard à tous les clients cédés. Juridiquement, en cas de perte de clientèle liée à cette présentation de l’acquéreur par courrier, aucun reproche ne pourra être signifié malgré une mauvaise foi manifeste.
Sur ce point, il convient donc simplement de modifier ainsi le paragraphe précité : "À compter de la date d’entrée en jouissance, le cédant s’engage, pendant la durée de …, à présenter physiquement le cessionnaire à sa clientèle, comme étant le seul successeur et en invitant la clientèle à reporter sur lui la confiance qu’elle voulait bien lui accorder".

Le "fils" du cédant

Il n’est pas rare que le cédant possède un membre de sa famille établi dans la profession, expert comptable ou non : son conjoint, son fils, sa fille (qui a donc changé de nom de famille), son beau-fils… Il n’est pas rare non plus que, suite à une cession, un des membres de la famille du cédant récupère, volontairement ou involontairement, tout ou partie de la clientèle cédée.
La jurisprudence nous montre que l’acquéreur n’a aucune chance d’obtenir en justice des dommages et intérêts pour le préjudice qu’il a subi :
-Que cela soit de la part du cédant, qui ne l’a pas informé qu’un membre de sa famille était également dans la profession,
-Ou de la part du membre de sa famille qui a récupéré tout ou partie de la clientèle cédée.
Pour se protéger, l’acquéreur peut simplement faire figurer dans le contrat de cession une déclaration du cédant par laquelle il affirme, par exemple : "Aucun membre de la famille du cédant jusqu’au quatrième degré n’est ou n’a été expert-comptable ou collaborateur d’un expert- comptable, ou d’une manière générale…".
En revanche, si le cédant possède un membre de sa famille dans ce cas, et si l’acquéreur souhaite acquérir sa clientèle, ce dernier pourra, par exemple, faire signer une lettre d’engagement de non concurrence, directement à cette personne.

L’augmentation des honoraires des clients cédés

Ce point n’a une importance que lorsque le cédant a accordé une garantie de clientèle (ou de chiffre d’affaires dans une moindre mesure) à l’acquéreur, pendant une période définie à compter de la cession.
Si aucune mention contraire n’est indiquée dans le contrat de cession, rien n’empêche l’acquéreur d’une clientèle ou d’un cabinet d’expertise-comptable d’augmenter les honoraires des clients repris, dans les proportions qu’il souhaite, que cela soit de manière justifiée ou non.
Prenons un exemple qui peut paraître caricatural, mais qui est malheureusement tiré de cas concrets rencontrés par certains confrères.
Dans cet exemple, une garantie de clientèle d’un an est accordée par le cédant à l’acquéreur, pour une clientèle cédée. Dans cette clientèle reprise, l’acquéreur s’aperçoit que certains clients sont moins rentables que d’autres, ou ont des activités comprenant des particularités comptables, sociales, fiscales ou juridiques non maîtrisées.
En conséquence, immédiatement après la cession, l’acquéreur va augmenter les honoraires de ces clients identifiés, de manière disproportionnée.
Bien évidemment la réaction des clients est attendue, ces derniers quitteront l’acquéreur, pour choisir un autre expert-comptable.
À la fin de la période de garantie, l’acquéreur aura ainsi perdu "volontairement" certains clients, mais il se les fera rembourser auprès du cédant, en application de la clause de garantie de clientèle. Au final, l’acquéreur n’aura payé que les clients qu’il souhaite garder et le cédant aura subi un préjudice certain.
Face à ce risque potentiel, le cédant peut se protéger, en limitant ou en interdisant l’augmentation des honoraires pendant la période de garantie, par une phrase qui peut être rédigée ainsi : "Pendant la période de garantie, soit du X au Y, l’augmentation des honoraires des clients repris par l’acquéreur est interdite / est limitée annuellement à Z %, sauf accord express du cédant".

Les nouveaux clients obtenus par le repreneur

Ce point ne trouve à s’appliquer que lorsque le cédant a accordé une garantie de chiffre d’affaires à l’acquéreur, pendant une période définie à compter de la cession.
Pendant cette période, deux principaux cas de figure peuvent se présenter :
-Cas A : le cessionnaire peut obtenir de nouveaux clients pouvant être liés au développement des clients qu’il vient de reprendre,
-Cas B : le cessionnaire peut obtenir de nouveaux clients pouvant provenir de relations et de sources extérieures et indépendantes de la clientèle reprise.
Si la clause de garantie de chiffre d’affaires ne comporte aucune mention spécifique, relative à ces nouveaux clients acquis par le repreneur pendant la période de garantie, alors ces nouveaux clients seront pris en compte dans le calcul du chiffre d’affaires global. Cela peut donc se révéler défavorable pour l’acquéreur, lors de la mise en œuvre éventuelle de la garantie de chiffre d’affaires.
Concernant le cas A :
-Du point de vue du cédant, l’acquisition de nouveaux clients est à comptabiliser dans le chiffre d’affaires pris en compte dans la garantie, car elle découle de l’évolution normale de la clientèle cédée ;
-Du point de vue de l’acquéreur, ce dernier peut considérer que ses efforts pour développer les clients cédés ne doivent pas être intégrés dans le calcul de la garantie de chiffre d’affaires.
Les deux positions se justifient, mais si rien n’est précisé dans le contrat de cession, un litige apparaîtra entre les parties, si elles n’arrivent pas à trouver une position commune.
Concernant le cas B, le chiffre d’affaires facturé aux clients acquis par le repreneur, indépendamment des clients cédés, compense celui lié à la perte ou la diminution d’honoraires des clients faisant l’objet de la cession. Cette compensation est directement préjudiciable pour l’acquéreur, car les éventuels départs de clients ne seront pas indemnisés.
Les efforts de l’acquéreur pour développer son cabinet, indépendamment de la clientèle reprise, ne doivent pas être pris en considération dans le calcul de la garantie de chiffre d’affaires, au risque de rendre celle-ci d’aucune utilité pour le repreneur, en cas de perte de clientèle.
De la même façon que pour le cas A, une mention dans le contrat de cession permettra d’éviter ce désagrément à l’acheteur.

IV. Recommandations

La rédaction du contrat est l’une des phases les plus importantes de la cession de clientèle, voire même la plus importante. En effet, elle permet de palier une absence d’audit ou un audit insuffisamment poussé de la part de l’acquéreur. Indépendamment de cela, une rédaction réfléchie du contrat constitue un aide-mémoire de toutes les particularités de la cession, que les parties doivent mentionner avant de signer.
Il est donc vivement recommandé aux futurs acquéreurs et cédants de faire appel à des professionnels spécialisés, afin de recueillir des avis éclairés, qui peuvent leur éviter de commettre des erreurs dans la rédaction du contrat, mais également leur permettre d’effectuer des choix judicieux quant aux modalités de la cession.
Il est évident que la rédaction du contrat de cession de clientèle et l’insertion des différentes clauses peuvent faire l’objet d’une âpre négociation entre les parties. Dans une telle situation, chacune des parties doit veiller à ce que les clauses qu’elles estiment essentielles et protectrices figurent bien dans ledit contrat, afin d’être protégé contre les principaux risques identifiés.
Si vous rencontrez un problème lors d’une cession de clientèle, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre conseil régional.

Laurent Benedict, expert-comptable diplômé

A propos

francilien87Cet article provient du numéro 87 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France  qui comprend notamment un dossier sur le financement des PME.

 






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