Interview de Jean-Pierre Cossin, Conseiller honoraire à la Cour des comptes.
Jean-Pierre Cossin, lorsque vous étiez à la Cour des comptes, vous avez été amené à instruire des rapports et des enquêtes sur le crédit d’impôt recherche, les pôles de compétitivité et les autres mesures fiscales en faveur de la recherche.
Pourriez-vous donner à votre avis sur ces mesures fiscales ?
La Cour des comptes a en effet expertisé les mesures fiscales incitatives à la recherche. Il s’agissait de savoir si ces mesures, naturellement "budgétivores", étaient les plus efficaces pour aider les entreprises qui font des efforts pour développer les dépenses de recherche et améliorer leur compétitivité.
À plusieurs reprises, la Cour a été amenée à porter une appréciation sur l’impact réel de ce crédit d’impôt sur la recherche en France, au regard de son coût budgétaire particulièrement élevé.
Toutefois, ce crédit d’impôt, très ancien dans son principe – il remonte à 1984 et a subi de nombreuses évolutions depuis – exprime la volonté des pouvoirs publics de favoriser la localisation des activités en France, en développant la recherche et en améliorant la compétitivité fiscale du pays.
La question la plus délicate a consisté à évaluer l’incidence du crédit d’impôt recherche (CIR) sur sa réelle incitation économique.
Peu d’éléments décisifs sont détenus par les administrations pour confirmer ou infirmer l’importance du crédit d’impôt sur les efforts de recherche des entreprises en France.
Toutefois, le jugement de la Cour a toujours été équilibré, car il n’est pas douteux qu’un mécanisme aussi puissant entraîne une progression de l’effort global de recherche et rende le pays réellement attractif pour la dépense de recherche, en contribuant à structurer le tissu économique français. En contrepartie, il est certain que son impact budgétaire est lourd.
Les constats de la Cour des comptes figurent pour l’essentiel dans les rapports qu’elle publie. À l’issue de ses enquêtes, elle a fait des recommandations pour réduire les coûts budgétaires du crédit d’impôt recherche, qui constitue la principale mesure en faveur de la recherche, en proposant des aménagements, à la marge, du dispositif. La quasi- totalité de ses recommandations a été reprise dans les diverses lois de finances, sans qu’elle ne porte atteinte, bien entendu, au bon fonctionnement du dispositif fiscal ; la Cour ayant toujours considéré que l’aide fiscale à la recherche constituait une dépense fiscale d’avenir.
Que pensez-vous du crédit d’impôt recherche tel qu’il existe aujourd’hui en France et notamment à la suite de la substitution d’un crédit d’impôt en volume à un crédit d’impôt en accroissement ?
Le dispositif actuel de crédit d’impôt recherche est sans doute l’un des plus efficaces et des plus puissants au sein des pays de l’OCDE, et à ce titre, son coût budgétaire est élevé. Aussi notre crédit d’impôt recherche suscite la convoitise de bon nombre d’entreprises de pays voisins. Il suscite même l’envie, voire la critique de certains États, qui considèrent que ce mécanisme constitue une aide trop importante aux entreprises.
Mais le crédit d’impôt recherche doit s’apprécier en tenant compte des autres impositions que supportent les entreprises, notamment du taux de l’impôt sur les sociétés, qui est élevé en France, voire très élevé, comparativement avec le taux des autres pays européens.
Dans cet environnement, le crédit d’impôt recherche peut apparaître, notamment pour les grandes entreprises qui supportent des dépenses de recherche d’un montant élevé, comme une diminution du taux réel de l’impôt sur les sociétés des entreprises les plus en pointe.
Que pensez-vous des modalités de détermination du crédit d’impôt recherche et notamment à la suite de la substitution d’un crédit d’impôt en volume à un crédit d’impôt en accroissement ?
Depuis 2008, le crédit d’impôt recherche s’est considérablement simplifié. Il est passé d’un système compliqué, qui était lié à l’accroissement de la dépense de recherche, à un mécanisme plus simple, qui tient compte uniquement du volume des dépenses de recherche éligibles. Cette évolution est une caractéristique du mécanisme français, qui se distingue aujourd’hui des autres systèmes existants dans d’autres pays qui ont gardé les dispositifs liés à l’augmentation de la dépense.
Cette évolution a permis aux entreprises de calculer leur crédit d’impôt à l’avance, sans devoir se préoccuper de la variation des dépenses de recherche.
Une seconde avancée a consisté en la suppression du plafond du crédit d’impôt recherche : toutes les dépenses de recherche effectuées en France bénéficient ainsi du crédit d’impôt au taux de 30 % jusqu’à un seuil de dépenses éligibles de 100 M€ et au taux de 5 % pour les dépenses excédant ce seuil.
Ces deux évolutions ont entraîné une progression de l’effort de recherche en France, même s’il ne faut pas sous-estimer les effets d’aubaine dans certains secteurs et pour certaines grandes entreprises pour lesquelles les obligations de recherche sont par nature liées à leur activité.
L’insécurité fiscale liée à la définition des dépenses de recherche éligibles est-elle un frein à l’utilisation du crédit d’impôt recherche par les entreprises qui ont parfois du mal à comprendre les "finesses" de définition, pas toujours très claires ?
La principale insécurité en matière de crédit d’impôt recherche réside dans la difficulté de définir les dépenses de recherche éligibles. Ces dépenses sont celles qui sont affectées à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique, qu’il s’agisse de recherche fondamentale, de recherche appliquée ou d’opérations de développement expérimental.
Il en résulte que ne sont éligibles que les seules dépenses qui sont en avance sur "l’état de l’art dans le domaine concerné". Dans ces conditions, ces définitions ne peuvent qu’être en perpétuelle évolution. De plus elles font l’objet d’interprétations divergentes, malgré les instructions fiscales censées les préciser. Pourtant les entreprises ont besoin d’autant plus de sécurité dans la détermination de l’assiette de leur crédit d’impôt que le mécanisme en volume conduit à ce que toutes les dépenses de recherche éligibles ouvrent droit à une subvention fiscale de 30 %. Il en résulte que toute remise en cause du montant du crédit d’impôt débouche sur de lourdes conséquences financières, souvent difficiles à supporter par les entreprises.
L’insécurité fiscale réside aussi dans l’absence de frontière, pas toujours très claire, entre la dépense de recherche et la dépense d’innovation.
Comment les entreprises peuvent-elles donc se garantir contre le risque de remise en cause du crédit d’impôt, en cas de contrôle fiscal ?
Pour se prémunir contre l’insécurité fiscale, les entreprises disposent de diverses possibilités.
Elles peuvent interroger par écrit l’administration fiscale et obtenir une sécurité juridique (le rescrit fiscal). La réponse de cette dernière étant opposable à l’administration, l’entreprise est confortée dans le caractère éligible de ses activités de recherche, et même dans la définition des dépenses éligibles.
Elles peuvent aussi recourir à un contrôle sur demande, pour s’assurer de la bonne application de la loi fiscale. Certes, l’administration n’est pas tenue de répondre favorablement à cette demande, mais les entreprises ne doivent pas ignorer cette possibilité, et surtout les PME.
Le crédit d’impôt recherche n’est-il pas en réalité une aide indirecte à l’emploi du personnel de recherche, si l’on tient compte du poids des rémunérations dans l’assiette du crédit d’impôt recherche ?
L’assiette du crédit d’impôt recherche comprend de nombreuses dépenses éligibles. Mais lorsque l’on analyse plus finement cette assiette, on observe que le cœur des dépenses correspond à la prise en compte des charges de personnel affecté exclusivement à la recherche. Celles-ci sont non seulement retenues pour leur montant brut, mais elles servent aussi à la prise en compte des dépenses de fonctionnement, qui en représentent 50 %. Dans ces conditions, il est possible de conclure que le crédit d’impôt recherche constitue une aide fiscale indirecte à l’emploi de chercheurs.
D’ailleurs, le crédit d’impôt est explicitement conçu comme une incitation à l’embauche de jeunes chercheurs, ou de jeunes docteurs, puisque ces dépenses sont retenues pour le double de leur montant, pendant les vingt-quatre premiers mois suivant leur recrutement. Il en va de même pour la prise en compte des dépenses de fonctionnement.
Ainsi l’embauche d’un jeune docteur est pratiquement financée pendant deux ans par le
CIR, comme le montre le calcul suivant.
Pour une rémunération brute réelle de 100, l’assiette du crédit d’impôt est de 200 (100 x 2) pour les salaires et de 100 (50 x 2) pour les dépenses de fonctionnement, soit une assiette totale de 300, correspondant à un crédit d’impôt de 90 (300 x 30 %). L’aide fiscale est donc de 90 % du montant de la dépense salariale, qui, par ailleurs, demeure déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
Ne pensez-vous pas que le crédit d’impôt recherche bénéficie trop aux grandes entreprises et trop peu aux PME ? Ces dernières sollicitent-elles suffisamment le crédit d’impôt recherche ?
C’est exact. Peu de PME bénéficient du crédit d’impôt recherche et le dispositif est plus largement utilisé par les grands groupes, qui supportent des dépenses de recherche de manière récurrente. Il n’en demeure pas moins que les PME sont éligibles et qu’il convient sans doute de mettre l’accent sur leur situation.
D’une part, il n’est pas impossible que certaines PME ne revendiquent pas ce crédit d’impôt, parce qu’elles en ignorent le fonctionnement, ou qu’elles le trouvent trop complexe, ou même qu’elles craignent – bien que cette crainte ne soit pas fondée – que la sollicitation de l’avantage fiscal puisse amener l’administration à décider d’un contrôle fiscal.
Dans ces conditions, les experts- comptables doivent veiller à ce que les PME fassent valoir leur droit à l’avantage fiscal.
Il me semble que deux signaux pourraient conduire à s’interroger sur l’existence d’un possible crédit d’impôt recherche : le premier est le constat que l’entreprise dispose de salariés qualifiés de chercheurs et le second réside dans le fait que l’entreprise a sollicité, ou obtenu, des subventions en provenance de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou d’Oséo Innovation. En effet, s’il n’existe pas de lien automatique entre la demande de subventions recherche et la présence de salariés chercheurs dans l’entreprise, il est néanmoins probable que l’entreprise réalise des opérations de recherche éligibles.
Ce n’est pas parce que peu de PME sont éligibles, que le législateur les ignore. Bien au contraire, la volonté des pouvoirs publics est d’inciter fortement ces entreprises à réaliser de la recherche pour assurer leur développement.
Quelles sont les mesures plus spécifiques retenues par le législateur pour mieux prendre en compte la situation des PME ?
Après avoir rappelé que les PME peuvent obtenir le remboursement immédiat du crédit d’impôt recherche, il faut surtout souligner que la loi a créé un crédit d’impôt innovation, qui leur est réservé.
Le crédit d’impôt innovation s’ajoute au crédit d’impôt recherche et bénéficie aux entreprises PME, au sens communautaire.
Il est calculé au taux de 20 % sur les dépenses d’innovation, dans la limite de 400 000 € de dépenses par an, soit un montant maximum de crédit d’impôt de 80 000 € annuels.
Les dépenses d’innovation répondent à une définition plus large que celle de dépenses de recherche.
Elles comprennent notamment les opérations de réalisation de prototypes de nouveaux produits ou les installations pilotes de nouveaux produits, y compris lorsque ces opérations sont sous-traitées à des bureaux d’études agréés.
Le crédit d’impôt innovation doit permettre aux PME, qui supportent des dépenses n’entrant pas spécifiquement dans l’assiette du crédit d’impôt recherche, de bénéficier néanmoins d’une aide fiscale. Son existence peut aussi conduire à un simple "déclassement" d’une dépense de recherche en dépense d’innovation, lors d’un contrôle fiscal ne conduisant qu’à une remise partielle du crédit d’impôt recherche.
Plus globalement, que pensez-vous de ces mesures fiscales d’aide à la recherche et à l’innovation ?
Les crédits d’impôt recherche et innovation sont des mécanismes puissants d’aide fiscale à la compétitivité des entreprises. Ces mesures sont particulièrement ciblées sur les entreprises qui se veulent les plus dynamiques et qui sont porteuses d’avenir.
Les entreprises doivent se saisir de ces dispositifs et les appliquer avec rigueur, malgré les difficultés inhérentes à la définition des dépenses éligibles.
Les experts-comptables peuvent et doivent apporter leur expertise dans ce domaine aux entreprises.
Elle est plus particulièrement indispensable pour les PME.
A propos
Cet article provient du numéro 87 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France qui comprend notamment un dossier sur le financement des PME.