Audit et expertise comptable : les métiers du chiffre soumis à des vents contraires

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Xerfi vient de publier une étude sous le titre : Le marché de l’expertise comptable et de l’audit à l’horizon 2024 - Pénurie de talents, dégradation économique, nouveaux concurrents : quelles stratégies pour les cabinets, réseaux et groupements ? Trois questions à Aurélien Vernet, directeur d’études chez Xerfi et auteur de l'étude.

La situation des cabinets d’expertise comptable et d’audit deviendrait-elle plus compliquée ?

La croissance du chiffre d’affaires des cabinets d’expertise comptable et d’audit va de fait légèrement décélérer d’ici 2024 (de l’ordre de 2,5 % à 3 %) selon nos prévisions. Malgré tout, elle restera solide. Certes, le marché de l’audit restera pénalisé par les conséquences de la loi Pacte. Toutefois, les professionnels du chiffre pourront compter sur la récurrence de leur activité, la fidélité de leurs clients ou encore leur rapport privilégié avec les dirigeants d’entreprise. A cet égard, la généralisation de la facturation électronique et, plus largement, la nécessité pour de nombreuses entreprises de prendre le virage du digital doperont la demande. En revanche, la possibilité de procéder à des revalorisations tarifaires restera limitée, en raison de la « commoditisation » des offres liée à la profusion des services 100 % online. Les acteurs de grande taille, qui font jouer les synergies, et ceux dotés d’une organisation performante profiteront sans doute de cette situation pour gagner des parts de marché. La capacité des cabinets à intégrer dans leurs honoraires les prestations exceptionnelles et à monétiser les missions non-core, comme le conseil, sera également déterminante. Au-delà du retournement conjoncturel, la profession doit en effet composer avec une réglementation aux effets ambigus. Si les changements dans les process des entreprises (comme la facturation électronique) se traduisent par un surcroît d’activité, le relèvement des seuils d’audit ou l’allègement des obligations provoquent l’effet inverse. Par ailleurs, la transition numérique au sens large entraîne plusieurs ruptures dans les modèles d’affaire des professionnels du chiffre (nouvelles attentes des clients, émergence de services de substitution...). Enfin, les cabinets sont confrontés à un véritable défi démographique. Alors que la moitié des commissaires aux comptes et des experts-comptables ont plus de 50 ans, un recrutement sur deux est désormais jugé difficile (un plus haut historique).

Quel est le niveau d’intensité concurrentielle des métiers du chiffre ?

Avec environ 20 000 acteurs, la profession comptable est très atomisée et relativement concentrée puisque les Big Four captent à eux seuls plus de 30 % des activités règlementées. Ceci dit, la concurrence est vive dans la profession, alimentée par les rapports de force avec les fournisseurs de technologies (Sage ou Cegid par exemple), de plus en plus incontournables. Le développement de logiciels comptables et d’outils online favorise la désintermédiation de certaines tâches comme la tenue comptable, même si leur potentiel disruptif reste limité, faute de modèle économique éprouvé. La montée en puissance de nouveaux acteurs au modèle hybride, voire 100 % en ligne (à l’image de Dougs ou Clémentine) et même de néobanques (telles que Qonto) accentue les pressions sur les prix en raison de leur approche low cost pour séduire certains clients (comme les libéraux ou les indépendants). Alimentée par l’industrialisation de la profession, l’intensité concurrentielle poussera les acteurs à s’orienter davantage vers des prestations à plus forte valeur ajoutée, comme le conseil.

Outre la diversification, quels sont les autres axes de développement possibles ?

Précisons d’abord que le virage vers le conseil impose de véritables efforts de professionnalisation. Dans ce contexte, les grands cabinets et réseaux pluridisciplinaires sont sans conteste les mieux armés, à l’instar des Big Four qui ont leur propre marque de conseil en stratégie. Les cabinets plus modestes pourraient être tentés de se regrouper. Face au défi de la plateformisation de la profession, les experts-comptables pourront également tirer parti du développement des comptatech, souvent positionnées comme des partenaires privilégiés pour faciliter leurs missions (comme par exemple l’automatisation du reporting). C’est d’ailleurs l’ambition de Drakarys, société d’investissement des experts-comptables pour les experts-comptables, entre autres montée au capital de MyUnisoft. Pour se digitaliser, la plupart des acteurs déploient des outils en interne, signent des partenariats avec des fournisseurs de solutions. Les leaders rachètent également des startups dans la data science et créent des laboratoires de recherche. Pour attirer et fidéliser les meilleurs profils afin de renforcer leur marque employeur (développement des compétences, conditions de travail...), les cabinets activent de nombreux leviers. Quant à la croissance des cabinets d’envergure locale, elle passe par les regroupements. Déjà, certaines structures sont totalement intégrées aux grands réseaux nationaux-régionaux. D’autres adhèrent à des organisations spécifiques pour mutualiser leurs coûts ou partager des bonnes pratiques.