L'institut Xerfi a publié une étude sous le titre : « Le développement de la finance durable face aux besoins de normalisation - Leviers de croissance du marché et facteurs d’évangélisation du segment retail : les perspectives d’ici 2023 ». Trois questions à Sabine Gräfe, Directrice d’études Xerfi, qui a rédigé l'enquête.
Pourquoi le phénomène de la finance durable prend-il de l’ampleur en France ?
Rappelons en préambule que la finance durable recouvre les segments de l’investissement responsable (IR), la finance solidaire et la finance verte. Née en France dans les années 1980, elle a véritablement décollé depuis peu. Si la crise de 2007-2008 avait posé les premiers jalons pour une finance plus responsable, celle née de la pandémie a exacerbé cette prise de conscience. Le marché de la finance durable représente désormais près de 43 % des encours de l’industrie de la gestion d’actifs, hissant l’Hexagone au rang de leader en Europe.
Parmi les différents moteurs, citons l’inflation réglementaire sans précédent qui favorise l’émergence de bonnes pratiques, les normalise et assure les conditions de la confiance. La loi Pacte a ainsi joué à plein. La finance durable se diffuse en effet auprès des particuliers principalement via l’assurance vie. Précisons également que si les pouvoirs publics jouent un rôle d’impulsion, les acteurs privés ont pris le relais, au sein de l’initiative Finance for Tomorrow en France.
Le marché est aussi tiré par un formidable effet d’offre. La labellisation et le développement des gammes de fonds responsables-durables se poursuivent ainsi à un rythme soutenu. Moteur historique du marché, les investisseurs institutionnels sont passés à la vitesse supérieure et accroissent leurs allocations en faveur de la finance durable. Contraints depuis déjà plusieurs années, ils sont de plus en plus nombreux à intégrer les critères ESG dans leurs politiques d’investissement. Exprimant des attentes et des exigences toujours plus fortes dans le cadre de leurs appels d’offres, ils poussent les gérants à avancer.
Quant à la clientèle retail, elle devrait peu à peu se convertir pour prendre le relais. C’est d’autant plus vrai qu’elle a accumulé pendant la pandémie un surplus d’épargne exceptionnel. Certes, les attentes sont réelles et l’intérêt croissant mais ils ne se sont pas concrétisés par un fort taux de souscription de produits de placements responsables-durables. La période qui s’ouvre s’annonce encore favorable. Les éléments en faveur de son développement ne manquent pas, à commencer par un cadre réglementaire qui incite gérants, institutionnels et intermédiaires à aller plus loin, et lèvera peu à peu certains des verrous qui entravent aujourd’hui une plus large diffusion de la finance durable.
Quelles structures animent plus particulièrement le marché ?
Les gérants d’actifs sont au cœur de l’écosystème de l’investissement durable. Particulièrement nombreux, ils sont toutefois encore loin d’avoir tous investi le marché de la finance durable. Le marché est porté par les plus grands des acteurs, filiales de banques ou d’assureurs, là où les nombreuses sociétés de type entrepreneurial sont restées à la traîne. Une majorité d’entre elles sont en effet peu ou pas impliquées.
Au-delà, établir un classement des acteurs dans la finance durable s’avère un exercice difficile en raison de la diversité des approches privilégiées, des critères retenus et des stratégies adoptées par les uns et les autres. La clientèle institutionnelle, segment le plus important, reste très disputée et concentrée. Sur celui du retail, qui cristallise aujourd’hui les enjeux, la compétition va se jouer sur le terrain. Et l’avantage ira aux groupes dotés de réseaux de distribution d’envergure, qui leur confèrent des positions confortables sur les différents marchés de l’épargne.
Egalement parties prenantes de l’écosystème de la finance durable, les prestataires de services extra-financiers sont montés en puissance ces dernières années. Amundi, par exemple, affirme ainsi recourir à une dizaine de fournisseurs de données pour alimenter ses outils et méthodologies propriétaires. Et la consolidation de ces acteurs, sous l’impulsion de groupes anglo-saxons, se traduit par un rapport de force déséquilibré au détriment des gérants. Cette mainmise d’opérateurs anglo-saxons sur le secteur pose des questions de souveraineté et de vision de l’ESG à plus long terme. Dans le cadre de la directive CSRD, la perspective d’une mise à disposition des données gratuitement, depuis un point d’accès unique, permettrait en partie de réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseurs de services extra-financiers.
Les initiatives sont-elles à la hauteur des défis à relever ?
La croissance exponentielle de la finance durable n’est en effet pas exempte de défis, à commencer par la nécessité de clarifier et simplifier les discours, de les rendre plus lisibles, de jouer la carte de la transparence. Les efforts de normalisation n’ont pas ainsi porté tous leurs fruits comme l’illustre la faible lisibilité de l’offre. Le modeste engagement des conseillers bancaires et financiers est également un défi à relever pour séduire la clientèle retail. Par ailleurs, les labels, souvent méconnus et trop nombreux, nuisent à leur clarté. Enfin, la qualité des données extra-financières est un problème majeur et qui ne sera pas résolu rapidement, faute de standards harmonisés.
Face à cette situation, les gérants d’actifs ne restent pas inactifs. La labellisation des fonds éligibles, principalement ISR qui a les préférences de la profession, s’est accélérée. Sur le segment retail, la loi Pacte – qui impose un quota minimum d’unités de compte labellisées dans les contrats multisupports d’assurance vie – leur a donné un sérieux coup de pouce. Ils concentrent leurs efforts sur la mobilisation et l’accompagnement de conseillers clients sur ce marché des particuliers. Les gérants élargissent également le périmètre des classes d’actifs passés au filtre de la finance durable, notamment en direction du non coté. La profession explore aussi de nouvelles thématiques comme le volet social. Certains acteurs ont enfin adopté le statut d’entreprise à mission. Un signal fort envoyé au marché comme aux collaborateurs et parties prenantes.