Xerfi vient de publier une étude sous le titre : « Les stratégies des banques digitales pour concilier attractivité et rentabilité - Business model et leviers de conquête pour une croissance rentable à l’horizon 2023 ». Trois questions à son auteur Aurélien Vernet, chargé d’études chez Xerfi.
Quelle est la situation des banques digitales dans l’Hexagone ?
Leur succès commercial ne se dément pas. Fin 2020, les quarante banques digitales (banques en ligne, banques mobile first et néobanques) recensées par nos soins avaient séduit plus de seize millions d’utilisateurs en France (contre quatre millions de clients en 2014). Cette dynamique est liée aux stratégies d’acquisition clients offensives des acteurs (primes de bienvenue, offres promotionnelles, tarifs attractifs, etc.) mais aussi au développement du switching (passage d’une banque à une autre) et surtout de la multibancarisation.
Tout l’enjeu pour ces banques digitales désormais est de devenir la banque principale de leurs clients. Dit autrement, les banques nouvelle génération ne veulent plus jouer les seconds couteaux alors que les coûts d’acquisition d’un client sont élevés (environ 200 à 300 euros en moyenne) au regard des revenus générés (100 à 200 euros de produit net bancaire par an). Si les banques en ligne concentrent encore plus de la moitié des clients ayant opté pour les services bancaires on line, elles seront vite rattrapées par les néobanques dont la croissance est plus rapide. Les revenus des banques digitales ont faiblement progressé en 2020. L’indicateur Xerfi basé sur les revenus de sept acteurs a représenté un produit net bancaire de 594 millions d’euros en 2020 (soit une hausse de 1 % sur un an).
Les perspectives des banques digitales sont bien orientées. À l’horizon 2023, elles auront franchi la barre des vingt millions d’utilisateurs. De nouveaux entrants sont par ailleurs attendus. Un défi de taille attend cependant les banques digitales : celui de la rentabilité. La très grande majorité d’entre elles n’ont pas encore atteint l’équilibre.
Comment alors peuvent-elles opérer le passage de la croissance à la rentabilité ?
A l’exception d’une poignée de banques en ligne (Fortuneo) et de néobanques (Nickel, Revolut), la grande majorité des banques digitales, lancées en France voilà moins de cinq ans, ne sont pas encore rentables, y compris des acteurs comme la néobanque N26 déjà valorisés plusieurs milliards d’euros. La perte nette cumulée de sept banques digitales a ainsi dépassé 300 millions d’euros en 2020, selon nos estimations. Cette difficulté à atteindre l’équilibre financier demeure leur principal point faible. C’est bien ce qu’illustrent les augmentations de capital de BforBank ou encore la récente recapitalisation d’Orange Bank. Ces banques challengers sont de fait confrontées à des coûts croissants alors que les marges par client restent modestes, entre autres en raison de l’offre de services gratuits ou de taux d’intérêt des comptes d’épargne supérieurs au marché.
Faute de rentabilité et après les effets de la pandémie sur l’économie, les investisseurs encouragent désormais les néobanques à privilégier la rentabilité à la croissance. Cela passe par un repositionnement de l’offre, à commencer par le développement de produits et services plus rentables (activités d’investissement et de crédit, ciblage des PME, fourniture de services à d’autres fintech). La révision des stratégies de prix (facturation de frais pour des services auparavant gratuits), à l’image de Monzo ou Starling, est également un levier actionné par les acteurs. La réduction des coûts et la restructuration des stratégies d’expansion à l’international (comme par exemple Axa Banque en Belgique) font aussi partie de la panoplie de solutions à leur disposition.
Dans l’état actuel du jeu concurrentiel, faut-il s’attendre à des regroupements ?
Dans un contexte où les banques digitales peinent déjà à rentabiliser leur modèle, force est de constater que, malgré des stratégies de spécialisation, les offres convergent de plus en plus, en particulier dans la banque en ligne. Cette progressive homogénéisation est susceptible de durcir le jeu concurrentiel. Dans le même temps, les acteurs les plus fragiles sont condamnés à disparaître. A titre d’exemple, C-Zam a fermé ses portes l’été dernier après avoir séduit 120 000 clients seulement alors que son promoteur, Carrefour, ambitionnait d’attirer deux millions d’utilisateurs en cinq ans.
Sans oublier que depuis 2015, le paysage concurrentiel s’est considérablement enrichi. Pas moins de six nouvelles néobanques ont ainsi été créées en 2020 et la tendance devrait persister cette année. Bien souvent, ces nouveaux entrants privilégient une niche comme par exemple le « teen banking » très en vogue grâce au développement de nouvelles offres pour les adolescents. Dans ces conditions, le déploiement sans précédent d’offres bancaires digitales innovantes devrait entraîner une intensification de la concurrence et conduire à terme à une importante vague de consolidation.