Comment faire de la France le pays de la deuxième chance entrepreneuriale ? Le point de vue de Stéphane Cohen

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stephane-cohen4Alors qu’aux Etats-Unis, l’échec fait partie intégrante de la vie entrepreneuriale et peut même être considéré comme un atout,  la société française a plutôt tendance à stigmatiser celui-ci. Or, bien accompagné, l’entrepreneur peut faire d’un échec commercial un atout indispensable pour rebondir, selon Stéphane Cohen, managing partner de Wingate.

Pourquoi la société française vit-elle l’échec comme un handicap irréversible ?

En France, la réussite est normative de sorte que l’échec est considéré comme un manquement grave à cette pensée unique. Pire encore, toute la société dans sa globalité assimile l’échec de l’entreprise avec celui de son porteur de projet qui cristallise sur sa personne toutes les responsabilités, il est l’échec. Dès lors un processus d’autodestruction se met en œuvre : le chef d’entreprise est lui-même persuadé qu’il est un raté.

Pire encore, le dirigeant qui a connu une liquidation judiciaire est marqué d’une notation banque de France, lui interdisant ainsi l’accès aux principaux réseaux bancaires, qui en raison de leur compliance, refusent même de lui ouvrir un compte bancaire.

Quant à la société qui connaît des difficultés qui l’amènent à renégocier ses dettes dans le cadre de procédure collective, elle va voir son extrait kbis complété des mentions relatives à cette procédure durant 3 ans ou 5 ans. Comment obtenir de nouveaux financements pour rebondir quand l’infamie de l’échec est affichée sur la porte d’entrée de l’entreprise ?

Le processus darwinien à la française élimine ainsi tous les entrepreneurs sans trier le bon grain de l’ivraie alors qu’il nous faudra bien donner confiance à la nouvelle génération de jeunes entrepreneurs audacieux qui aujourd’hui vont tenter l’aventure outre atlantique où l’échec est considéré comme une expérience.

Comment certains pays font de l’échec un facteur de réussite ?

Lao Tseu écrivait : "l'échec est au fondement de la réussite".

La vision française de l’échec est complètement différente de celle des américains, par exemple...

Aux Etats-Unis, l’échec n’est pas stigmatisant. Bien au contraire, il est considéré comme faisant partie de la courbe d’expérience des dirigeants, qui analysent avec leurs conseils ses raisons objectives, comme pour mieux repartir en évitant les pièges du débutant.

Les exemples sont nombreux, et en analysant le parcours des serials entrepreneurs de la Silicon Valley, nous trouvons des échecs suivis de succès fulgurants. Ce phénomène fait désormais partie de la culture d’expérimentation de la Silicon Valley où à l’occasion de conférences de l’échec (fail conferences) sont exposés les cas d’échec pouvant servir d’expérience aux novices. L’échec est ainsi présenté comme le prix du risque.

L’absence d’échec, est même d’ailleurs perçue comme un facteur de risque par la communauté des financeurs.

Comment changer de regard et instaurer le "droit au rebond" ?

La réponse est dans l’analyse des exemples qu’ils soient dans le domaine entrepreneurial ou dans le sport.

Prenons les échecs subis par Nadal, ils l'ont aidé à aller de l'avant, à s'endurcir, et devenir la machine à gagner que l'on connait. A l’inverse ces premiers échecs ont certainement manqué à Gasquet pour lui permettre de se dépasser.

Autres exemples l'entrepreneur Richard Branson, qui est passé jeune, par la case "prison" avant de rebondir et devenir le milliardaire successful que nous connaissons. En France, ce rebond est illustré notamment par la réussite de Xavier Niel ou Bernard Arnault qui reviennent de loin… Nous devons nous appuyer sur leur expérience du rebond pour en faire les portes paroles.

Je veux créer sous l’égide de l’Ordre des Experts Comptables les assises nationales du rebond afin d’inverser cette lisibilité de l’échec en France.

Nos pouvoirs publics doivent désormais aussi aller plus loin en tirant les conséquences de l’absence de rebond. La Banque Publique d’Investissement doit servir de relais pour redémarrer, quand les banques sont absentes, ce qu’elle a déjà commencé à mettre en œuvre en finançant des fonds spécialisés dans le retournement.

Quel droit à l’oubli aujourd’hui pour les chefs d’entreprise ayant subi une faillite dans le passé ? Quel est peut être l’impact de l’échec sur leur moral et leur santé ?

Actuellement le droit à l’oubli n’existe pas. Les ex-champions de la croissance, star des plateaux télé, sont devenus personae non grata. Et cela a évidemment un impact énorme sur leur santé mentale. Les pensées cognitives les amènent à s’isoler de plus en plus pour éviter d’affronter le regard de leur entourage. J’ai connu des entrepreneurs qui ne rentraient plus diner avec leur famille par honte. C’est terrible !

Néanmoins, cela semble changer avec la nouvelle génération d’entrepreneurs qui n’hésite pas à exposer au grand jour leurs difficultés en tant qu’apprentissage nécessaire dans le redéveloppement de leur entreprise. Je lisais ce matin un jeune entrepreneur de 27 ans, dont la start-up est en redressement judiciaire, écrire le post suivant : "nous n’avons jamais eu cette finesse de gestion, cette granularité dans les informations. Nous avons arrêté de consommer de l’argent… ".

Quel rôle de l’expert-comptable peut-il jouer auprès des patrons de TPE/PME, tissu économique en France, confrontés à l’échec de la faillite ? Comment peut-il accompagner au mieux les entrepreneurs dans la réussite de leurs projets ?

Si l’expert-comptable est incontournable pour assister le chef d’entreprise dans le retournement de son entreprise ou, comme vigile, alerter des difficultés à venir, il n’est pas non plus un magicien car privé de banques, privé de financements, notre entrepreneur va peiner à gagner les points de croissance qui seront le salut vers la sortie de crise. Les experts-comptables, tiers de confiance de l’économie, sauront analyser avec leurs clients les échecs et partager ces expériences avec leurs autres clients, alors qu’attendons-nous ?

Propos recueillis par Pascale Breton