Olivier Torrès : "Le capital santé des dirigeants est le premier actif immatériel d’une PME."

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olivier-torres2A l’occasion du lancement du CIP 75, qui a pour vocation d’accompagner les entrepreneurs en difficulté, nous sommes allés à la rencontre  d’Olivier Torrès, président d’Amarok, l’observatoire de la santé des dirigeants de PME. Avec son équipe, il sillonne la France pour sensibiliser l’opinion et l’ensemble des acteurs de l’économie française à l’urgence de mettre en place une vraie politique préventive pour protéger les premiers créateurs de richesse de notre pays que sont les chefs d’entreprise.

Selon une enquête d’OpinionWay menée à l’occasion du 23e salon des entrepreneurs, en février dernier, jamais les Français n’ont eu autant envie d’entreprendre : 37 % des Français ambitionneraient de créer ou de reprendre une entreprise… Pourtant, on le sait notamment grâce aux travaux de votre Observatoire, le risque de burn out est accru chez les dirigeants ; vous parlez même de "souffrance patronale". Alors, chef d’entreprise : une position enviable ou pas ?

A cause de ce triste phénomène journalistique, qui veut que pour être lu, il vaut mieux faire sa une sur les mauvaises nouvelles que sur les bonnes, la presse a davantage retenu nos chiffres sur le burn out patronal. Mais en réalité, le résultat de notre étude, c’est plutôt qu’entreprendre, c’est bon pour la santé. Bien sûr, il y a des contraintes, mais globalement, ce ne sont pas des contraintes subies, mais plutôt des contraintes choisies. Quand vous créez une entreprise, personne ne vous oblige à faire ça. C’est un acte délibéré et volontaire. Bien sûr qu’il y aura des situations difficiles, mais il faut distinguer le stress subi du stress choisi. Le stress choisi est pathogène mais dans une moindre mesure car il génère de la satisfaction et devient moteur. Et puis surtout, entreprendre a des effets salutogènes : l’optimisme, l’endurance, le sentiment de maîtriser son destin, la passion… autant de facteurs, de comportements, de systèmes de croyance qui sont bons pour la santé. Et nos études épistémologiques ont montré que chez les entrepreneurs, il y a plus de facteurs salutogènes que pathogènes.

Mais ceci étant dit, il est bien évident que si l’entrepreneur a une meilleure santé, il a aussi une santé plus risquée : comme ses hauts sont plus hauts, ses bas sont également plus bas, et les risques de dérive avérés. Les études montrent par exemple qu’un dirigeant de PME dort 35 minutes de moins par nuit que la moyenne (6h30, au lieu de 7h et 7 minutes), soit 2,5 à 3 heures en moins par semaine… ce qui représente une dette de sommeil de 150 à 200 heures par an. Or, ma doctorante Florence Guiliani à prouvé que la fatigue et la somnolence altèrent la capacité de vigilance, et la saisie d’opportunités, qui sont pourtant essentielles pour la pérennité et le développement du business.

D’où le lien que vous faites entre la santé d’une entreprise et celle de son dirigeant...

Oui, surtout dans une PME où, vos lecteurs experts-comptables sont bien placés pour le savoir, le lien entre le dirigeant et son entreprise est extrêmement fort. Le moindre souci de santé peut perturber fortement une entreprise, surtout si elle est de petite taille. La mort d’un dirigeant de PME ou TPE peut signer l’arrêt définitif de l’entreprise et son dépôt de bilan. Il est essentiel de comprendre - et c’est le principal message que nous souhaitons faire passer au sein d’Amarok - que le capital santé des dirigeants est le premier actif immatériel d’une PME. Une société mûre doit protéger ses entrepreneurs, car ils sont créateurs de richesse.

Or il n’existe pas à ce jour en France, ni même d’ailleurs à notre connaissance dans d’autres pays, de service de santé dédié aux travailleurs non salariés. Il devient urgent de réfléchir à un système de "sécurité sociale entrepreneuriale", pour sécuriser les parcours entrepreneuriaux et tisser des filets de sécurité, tant pour les dirigeants, que pour les entreprises elles-mêmes.

Sachant cela, quel rôle peuvent jouer les expertscomptables pour mieux accompagner leurs clients chefs d’entreprise ?

Parce qu’ils sont le premier conseil des dirigeants mais aussi chef d’entreprise eux-mêmes, les experts-comptables sont doublement concernés par notre propos et doublement exposés. Il est donc essentiel qu’ils intègrent pour eux-mêmes et pour leur cabinet l’importance de préserver leur capital santé. Parions qu’un expert-comptable qui aura intégré cela le répercutera naturellement auprès de ses salariés d’abord, mais aussi de ses clients. Cela peut passer par des choses toutes simples, comme prodiguer de temps en temps des petits conseils de bon sens : "ça fait une demi-heure qu’on discute, je vous ai déjà offert deux cafés, je me permets une remarque, vous avez déjà baillé 5 fois : vous ne dormez pas bien ? pourquoi ?" Le problème, c’est que les patrons souffrent souvent de ce que j’appelle "l’emprise de l’idéologie du leadership": même quand ça ne va pas fort, certains s’enferment dans une posture de chef qui préfère mourir plutôt que se rendre, ils veulent montrer qu’ils sont des battants, et refusent de demander de l’aide.

Cela suppose donc un vrai changement de mentalité…

Exactement. On a encore trop tendance en France à stigmatiser l’échec. Il y a par exemple une sorte de billet d’optimisme des professeurs d’entrepreneuriat, qui ne parlent que des success stories. On fait très peu de travaux sur la liquidation, le redressement judiciaire. Il y a un vrai tabou, presque une honte. Regardez, ça commence dès l’école, avec les dictées… je suis toujours frappé de voir qu’on parle de fautes d’orthographe, il y a une connotation morale dans l’erreur, qu’on nous inculque dès le plus jeune âge. C’est très franco-français. Et du coup, quand on liquide une entreprise, c’est une faute.

Heureusement, les choses évoluent petit à petit. Des associations à but non lucratif comme "Re-créer", "Second souffle" et "60000 Rebonds" aident les chefs d’entreprise à dédramatiser l’échec et à rebondir après une faillite. Ensemble, à l’initiative de l’ancien président du Tribunal de commerce de Paris et du Ministère chargé des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique, elles ont créé "le Portail du Rebond", pour apporter aux entrepreneurs des conseils concrets et les aider à se remettre en selle.

A propos

francilien-92Cet article provient du numéro 92 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France.