Brexit : Protéger ses actifs immatériels avant la fin des négociations

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pantalacci-mercadier-messas2Une tribune de Malaurie Pantalacci et Marion Mercadier - Partenaires PI -, Conseils en Propriété Industrielle, et Anne Messas, Avocat - HMV Avocats.

Le 29 mars dernier, le processus visant à voir le Royaume-Uni sortir de l’Union Européenne a été officiellement lancé. Deux ans de négociations sont prévus, et l’incertitude reste de mise sur les modalités de sortie et les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Les britanniques vont-ils rejeter les règles de l’Union Européenne, ou au contraire calquer leur législation sur elles et négocier des accords internationaux similaires avec l’Union ? Les options sont nombreuses et complexes, en particulier dans l’économie liée à la propriété intellectuelle.

Préserver la protection des marques, dessins et modèles européen au Royaume-Uni

Plusieurs possibilités concernant les marques ou dessins et modèles de l’Union Européenne déjà déposés et/ou enregistrés ont d’ores et déjà été envisagées :

  • le plus radical : obliger les titulaires de droits à procéder à un nouveau dépôt national tout en perdant leur antériorité sur ce territoire ;
  • le plus indolore juridiquement : obtenir la reconnaissance de la marque/dessin et modèle européen(ne) permettant un enregistrement automatique au Royaume-Uni,
  • l’intermédiaire : la marque ou le dessin et modèle européen(ne) désignerait l’Union Européenne et le Royaume-Uni.

Ces scénarii, envisagés par le CITMA posent aussi des questions de surcoûts et de conservation de l’antériorité des droits sur ce territoire.

Pour les nouveaux dépôts, une des réponses est rapportée l’office de la propriété intellectuelle britannique, dans sa déclaration du 2 août 2016. Ce dernier a rappelé que le Royaume-Uni est membre du système des marques internationales, permettant le dépôt simplifié de marques désignant le Royaume-Uni, au même titre que de nombreux autres pays, par l’intermédiaire d’une seule demande d’enregistrement. Il a indiqué par la même occasion l’intention du Royaume-Uni de rejoindre l’Union de la Haye pour la protection des dessins et modèles internationaux.

Repenser la circulation des produits portant la marque en Europe

La sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne aura aussi un impact sur l’épuisement des droits sur la marque. Le principe d'épuisement ne s'applique pas à un produit dont la première mise en circulation est située dans un pays hors de l’Union Européenne (CJUE C-355/96 Silhouette - 16 juillet 1998). Après la mise en œuvre du Brexit, le titulaire d'une marque pourra donc interdire l'usage de celle-ci pour des produits mis dans le commerce en Europe, si la première mise sur le marché a eu lieu au Royaume Uni.

Maintenir les procédures de lutte anti contrefaçon

L’office britannique des marques assure aux titulaires de droits impliqués dans la lutte anti-contrefaçon que les procédures de retenue et saisie en douanes restent en vigueur. Des accords internationaux seront sans doute prévus pour les maintenir après la mise en œuvre du Brexit.

De mandataires britanniques à… mandataires irlandais

La sortie de l’UE aura probablement pour effet de retirer aux mandataires britanniques leurs droits de représentation des titulaires de marques et de dessins et modèles devant l’office de l’union européenne pour la propriété intellectuelle (l’EUIPO).
Toutefois, il semblerait que les professionnels britanniques aient d’ores et déjà anticipé la situation en envisageant de se qualifier en tant que mandataires irlandais afin de pouvoir continuer à représenter leurs clients devant l’EUIPO. Par ailleurs, l’EUIPO pourrait également accorder un droit de représentation aux professionnels britanniques au même titre que leurs confrères norvégiens, islandais et du Liechtenstein.

L’Italie remplaçant du Royaume-Uni au sein de la Juridiction Unifiée du Brevet ?

Pas de changement prévu concernant les brevets européens déposés auprès de l’OEB (Office Européen des Brevets), qui n’est pas une institution de l’UE. En revanche, l’entrée en vigueur du brevet à effet unitaire et de la juridiction unifiée des brevets (JUB), longuement attendue a été quelque peu retardée. Pour rappel, sa mise en place est conditionnée à la ratification du Traité par les trois Etats membre de l’Union Européenne déposant le plus de brevets, à savoir la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Dans de telles circonstances, l’Italie, à raison de sa position de 4ème déposant, pourrait se voir proposer la place du Royaume-Uni dans ce nouveau système. L’office des marques britanniques a pris soin de préciser que le Royaume-Uni ne bloquera pas la mise en place de la Juridiction unifiée et assistera à toutes les réunions dans l’intervalle. L’entrée en vigueur du brevet à effet unitaire et de la juridiction unifiée des brevets pourrait intervenir d’ici la fin de l’année, avec la mise en place d’une période de sunrise à partir du 1er septembre 2017.

Les transferts de données à caractère personnel seront soumis à la condition que le Royaume-Uni apporte un niveau de protection suffisant aux yeux de la Commission Européenne

L’Union Européenne se prépare à l’entrée en vigueur en mai 2018, du règlement général de protection des données n° 2016/679 du 27 avril 2016 (RGDP). Ce règlement qui a fait couler beaucoup d’encre impose un renforcement des sanctions et des contraintes actuelles en matière de protection des données. L’ICO, homologue britannique de la CNIL, a publié sur son site Internet le discours de Elizabeth Denham, Information Commissioner, intervenant à l’ICO’s annual Data Protection Practitioners’ Conference du 6 mars 2017. Cette dernière expose les changements issus du RGDP qui interviendront en Grande Bretagne, en mai 2018, lors de l’entrée en vigueur du RGDP. Le Royaume-Uni entend donc appliquer le RGDP pendant le temps de la mise en œuvre du Brexit. Et après ? L’ICO affiche une volonté claire de maintenir une loi de protection forte et l’on comprend qu’il œuvrera dans le sens d’un régime de protection équivalent à celui du RGDP. Ceci permettrait à la Commission Européenne de reconnaitre que la législation du Royaume-Uni apporte un niveau de protection suffisant pour les transferts de données à caractère personnel.

Le Royaume-Uni n’intègrera pas nécessairement les apports de la directive secrets d’affaires

Le savoir-faire ou les secrets d’affaires sont des créations intellectuelles dont la protection est hétérogène dans les pays de l’UE. La directive 2016/943 dont les nouvelles dispositions doivent être intégrées aux droits nationaux avant juin 2018, a entendu renforcer la protection de ces secrets en harmonisant les législations. Le Royaume-Uni ne sera plus contraint de s’aligner sur le régime de protection issu de la directive mais il pourrait volontairement le faire, et accorder un niveau équivalent de protection et de réparation en cas d’obtention, d’utilisation et de divulgation illicite d’un secret d’affaires.

Vers une mise en place d’un système de reconnaissance mutuelle des procédures d’AMM pour les médicaments ?

L’industrie pharmaceutique, acteur majeur de dépôts de brevets et de marques, s’émeut des changements et craint que les autorisations de mise sur le marché (AMM) d’un médicament, délivrées par la Commission Européenne, doivent être doublées d’une autorisation de mise sur le marché au Royaume-Uni. Parallèlement la commercialisation de médicaments au Royaume-Uni sur la base d’AMM délivrées par un autre pays de l’UE pourrait n’être plus possible. Les AMM délivrées par l’autorité britannique pourraient ne plus permettre la mise sur le marché dans les autres pays de l’UE. Aussi, la mise en place d’un système de reconnaissance mutuelle des procédures d’autorisation et de contrôle s’imposerait comme la solution.

Au cours de l’année 2017 et jusqu’en mars 2019, sauf report, le retrait du Royaume-Uni du système de l’Union Européenne va se mettre en place. Il est par conséquent recommandé aux titulaires de droits et propriétaires d’actifs immatériels en relation avec le Royaume-Uni, de procéder à une revue de leurs droits, portefeuilles et contrats, afin d’établir une stratégie tenant compte des conséquences stratégiques, économiques du Brexit.